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11 oct. 2013

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Conversation sur le théâtre et l'écriture avec Marc Vallès Désert, auteur et metteur en scène haïtien,
dans la Compagnie (P)rolongement d'(E)criture,
en résidence d'écriture à la Maison des Auteurs du Festival des Francophonies en Limousin.
Son texte Jamais autant de silence a été lu pendant le Festival 2013,
par les deux comédiens Franck Koumba et Nina Nkumbwa.

A Paris entre deux trains, deux avions, deux rues, nous nous retrouvons au café à chicha près de Châtelet. Ce sont les "nuits blanches" à Paris ce soir-là. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de bruit. Nous parlons 35 minutes sur les questions que j'ai préparées, puis nous rejoignons son ami Angelo dans un bar cubain, où, me dit-il, je dois goûter le rhum Damoiseau.
D'accord.

 

Si tu devais livrer une seule chose qui te pousse à écrire, quelle serait-elle ?
"Je pousse des cris"

C'est l'envie de parler. Dans la vie je m'exprime avec beaucoup de retenue. Le théâtre et l'écriture me permettent de parler normalement. Il y a plein de choses à dire sur l'Homme, sur mon pays et sur le monde. Mais c'est aussi le moyen de dégager tout ce qui est refoulé en moi. Je pousse des cris. Et je vais les chercher à l'intérieur de moi grâce à l'art, le théâtre et l'écriture.

 

Pourquoi cet art et pas un autre ?
"Mon milieu immédiat"

Je ne pense pas avoir choisi. C'est plutôt l'accès que j'en ai eu. En Haïti, j'ai pu facilement rencontrer les auteurs, ils sont accessibles. Tu rentres dans un bar, tu rencontres des gens. Il n'y a pas beaucoup d'accès aux livres, mais il y a quand même des bibliothèques, et les livres se prêtent beaucoup. C'est mon milieu immédiat. Il y a beaucoup d'artistes en Haïti.

 

Quelle différence entre écrire du théâtre et écrire de la poésie ?
"La construction"

C'est juste une question de forme. Le propos que tu peux avoir dans le théâtre, tu peux l'avoir dans la poésie et inversement. En Haïti, il y a des « diseurs » : ils lisent leurs poèmes dans les bars, c'est très fréquent, et c'est mon milieu immédiat. Mais pour moi, le théâtre permet de développer beaucoup plus que la poésie. La forme demande plus de construction.

 

Quelle différence pour toi entre écrire en créole et écrire en français ?
« Je suis dans l'accueil »

La différence ? J'appartiens à la langue créole alors que la langue française m'appartient. C'est une question d'accueil en fait, je ne choisis pas à l'avance en quelle langue je vais écrire. Je laisse venir les choses. C'est Wajdi Mouawad qui parle de ça : l'accueil et l'imaginaire, qu'on le veuille ou non, se confondent. Et je suis dans cet accueil.

 

Le plateau, c'est quoi pour toi ?
« Je fuis le plateau »

Le plateau sert à rendre ton propos physique, que les gens puissent toucher, voir, entendre. Mais je fuis les plateaux de théâtre en fait. Plus je fuis le plateau, plus je suis dans du vrai. De toute façon, en Haïti, pour entrer dans le sens propre du mot plateau, il n'y a quasiment pas de scène.

 

Comment as-tu découvert le théâtre ?
"Quelque chose s'est ouvert en moi "

Jusqu'à mes 14 ans, je ne connaissais que le théâtre lu à l'école : les classiques français (Racine, Corneille, Shakespeare, Marivaux) ou haïtiens comme Justin Lhérisson[1]. Puis j'ai vu un spectacle en Haïti en 2003, et quelque chose s'est ouvert en moi. J'ai trouvé un coin pour parler à ce moment-là.

 

[1] Justin Lhérisson est un avocat et journaliste haïtien du début du xxème siècle, reconnu pour avoir retranscrit les « lodyans » haïtiens, forme traditionnelle de théâtre de la parole, du conte. « Lodyans » se traduit par « audition » en français

Suivez Marc Vallès sur le net.
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Marc Vallès est programmé au Festival des 4 chemins, en Haïti,
du 25 novembre au 7 décembre 2013, avec sa prochaine création Cabaret Vaudou.
Spectacle est en collaboration avec les tambourineuses de groupe féministe haïtien Vodoula, jouant du tambour, instrument symbolisant le pouvoir. 

Interview / 
Posté par : Louise Narat-Linol
29 sept. 2013

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A propos de Sad Sam Lucky de Matija Ferlin,
joué le mercredi 25 septembre 2013,
pour le Festival Actoral (24 septembre au 13 octobre) à Marseille.

 

ICI / MAINTENANT

   Une chambre vide, un paysage gâché, une église en cendres, un champ dévasté ? Où arrivons-nous ? Le plateau du théâtre est recouvert d'une estrade. Une estrade pleine de cendres, ou bien est-ce de la poussière ? Du fusain sans doute mais à aucun moment il n'est possible d'en parler ainsi. Ce n'est pas du fusain c'est de la suie, ce n'est pas une table, c'est le dernier objet, ce n'est pas un livre, c'est un poète qui revient d'entre les morts.

   « Beaucoup de travail m'attend, n'est-ce pas réjouissant ? », nous dit-on.

   Matija Ferlin a 31 ans. Il est croate. Il est chorégraphe. Il est danseur. Il est vidéaste. Il vit à Pula. Venu pour la première foi à Marseille l'année dernière pour le Festival Dansem 2012, avec le spectacle Sad Sam/almost 6, il revient cette année avec deux autres : Sad Sam Lucky aux Bernardines et The other at the same time  au Klap, pour Actoral 2013. Il est déjà très convoité un peu partout dans la monde, sans doute est-ce pour cela que son spectacle est en anglais (surtitré en français).

   « Sad sam » signifie en croate « Maintenant je suis »« Maintenant je suis ». Une naissance donc. D'entre les cendres il y a une naissance. Faut-il donc tout brûler pour que quelque chose apparaisse ? C'est une question. Faut-il vivre en enfer pour trouver le poème ?

   Lorsque j'entre dans ce Théâtre des Bernardines – ancienne église –  avec un ami dont j'aime la présence silencieuse, nous sourions de l'odeur envahissante, à l'approche du plateau. L'encens de la messe peut-être. Les restes d'une célébration ou d'un feu de joie.

   Nous entrons.

   Matija, que j'appelle par son prénom car c'est un ami maintenant, au même titre que Attila Jozsef ou Fernando Pessoa. On dit « MATIA » et pas « MATIJA ». Matija est face à nous, au plateau, debout dans une prière sans son. La fumée de l'encens épaissit l'air de l'espace.

   Il y a plusieurs choses dont j'ai envie de parler en ce qui concerne Sad Sam Lucky.

La table.
Le poème agrafé sur la table, pour ne pas qu'il s'en aille.
Le cri du monde venant de dehors.
La chambre.
Le salut dans le noir.
La transformation.
La fusion entre Matija et le gris. Le gris de la poussière, le gris de la table, le gris de ses vêtements et le gris arrivant sur sa peau. En ruine, en cendres. Un reste de lui-même confondu avec la chambre calcinée.

 

UN JOUR / LÀ-BAS

   Il était une fois une chambre calcinée, dans laquelle : une table, quelques livres du poète slovène Srecko Kosovel, un verre d'eau, des extraits de textes sur des feuilles volantes et une agrafeuse avaient été sauvés. Un homme y était, comme s'il ne l'avait jamais quittée malgré le feu. Cet homme-là, avait pu garder sa petite croix en or autour du cou, car malgré le déluge qu'il avait vécu, il y était attaché. Comme on ne peut jamais vraiment se défaire de son premier coquillage. Cet homme essaya en premier de visualiser l'espace avec son corps et de dire les mots qui étaient sur les feuilles. Il lui sembla plus commode d'agrafer ces pages sur la table, car cette table était à la bonne hauteur et qu'il avait besoin de ses mains pour explorer l'espace. Il se rendit compte que la table pouvait le porter, l'écraser, lui ressembler, chanter, basculer, tomber dans un nuage de poussières. Cela fut réjouissant. Mais il avait encore du travail. Il devait encore construire le nouveau monde. « Beaucoup de travail m'attend, n'est-ce pas réjouissant ? »  Il se souvint des autres hommes et femmes qu'il avait pu côtoyer. Et de comment, à leurs côtés, il avait été possible de rire, pleurer, chanter, se tromper, mentir, prier. Il travailla son masque, pour se souvenir du social. Il y travailla avec joie encore.

   « Beaucoup de travail m'attend, n'est-ce pas réjouissant ? »

   Et moi je vois Matija qui rit du théâtre, qui rit de l'acteur, qui rit de l'emphase des émotions sur scène, qui rit de ce que le théâtre bourgeois aime. C'est-à-dire : ce qu'il connaît déjà. Pasolini dit : « Le théâtre facile est objectivement bourgeois ; le théâtre difficile est pour les élites bourgeoises cultivées ; le théâtre très difficile est le seul théâtre démocratique. » [1]

 

LE MONDE / QUELQUE PART

   L'homme poursuivit son travail car « le travail c'est l'amour rendu visible » [2]. Et que l'homme était là par amour, sans aucun doute. Amour du monde, amour. Un bourdonnement grandissant prit l'espace. Le dehors semblait vouloir entrer dans la chambre. (Une musique de Luka Princic nous dit la feuille de salle). Le bruit cognait, cognait, cognait. Tellement fort que le gros monsieur moustachu, spectateur assis devant moi au premier rang, se boucha les oreilles avec ses mains. Il semblait tellement souffrir de ce bruit ce monsieur. Ses mains serraient de plus en plus fort pour ne pas que le bruit entre. Le monde criait trop fort. Alors il regarda autour de lui, puis il sortit. « Je ne peux pas, c'est trop », dit-il. Le cri du monde lui était insoutenable. Comment lui en vouloir, à qui ne l'est-il pas ? Et Matija  continua d'explorer l'espace avec son corps, avec le dehors qui entrait. Matija pleura, marcha à quatre pattes, mangea la suie de ses mains. Il cria ensuite derrière la table mais nous ne l'entendîmes pas car le bruit du monde était trop fort.

   Dans ce grand vacarme, une fin instantanée. FIN. Noir au plateau, lumière dans le public. Ces deux actions en simultané. Puis salut de Matija. La musique encore. Salut : une fois, deux fois, trois fois. Musique encore. Forte, très forte.

   Le monde eut raison de lui. Et il salua encore.

 

[1] PASOLINI Pier Paolo, Manifeste pour un nouveau théâtre.
[2] GIBRAN Khalil, Le prophète.

Joué les 24 et 25 septembre 2013 au Festival Actoral, Théâtre des Bernardines, Marseille

Sad Sam Lucky
durée 1h05 - spectacle en anglais surtitré en français

Chorégraphie et interprétation : Matija Ferlin 
Dramaturgie : Goran Ferčec
Texte : Srečko Kosovel, Matija Ferlin
Traduction : Katja Kosi, Daniela Bilić Rojnić
Musique : Luka Prinčič 
Scénographie : Mauricio Ferlin
Lumières : Saša Fistrić
Costume : Matija Ferlin

Coréalisation : Théâtre des Bernardines 
Production : Emanat
Coproduction : Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, Centre National de la Danse, Zagreb Dance Center (Croatie) 
Avec le soutien de : Bunker - The Old Power Station, Elektro Ljubljana (Ljubljana, Slovénie), Dance and Non-verbal Theater Festival San Vincenti (Croatie), Ministère de l’Education, des Sciences, de la Culture et du Sport de la République de Slovénie, Municipalité de Ljubljana (Slovénie), Municipalité de Pula (Croatie), Onda – Office national de diffusion artistique

Rédaction / 
Posté par : Louise Narat-Linol
19 sept. 2013

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Texte de Adrien Mariani, le spectateur-acteur de Cour d'honneur, que Théâtre Oracle a suivi lors de sa folle expérience orchestrée par Jérôme Bel - Avignon 2013.
Le texte suivant est celui que Adrien a dit du 17 au 20 juillet, devant 1800 spectateurs, dans la cour du palais des papes, parmi les 14 autres "spectateurs sous projecteurs" (voir l'interview d'Adrien).

   "Oui c'est un texte que j'ai dit, que j'ai réécrit et que j'apprends maintenant. Je vais te le dire en vraie condition.

    Bonjour, je m'appelle Adrien Mariani, j'ai 27 ans, je suis né à Villeneuve-lès-Avignon et je suis animateur à Marseille. La première fois que je suis venu dans la cour d'honneur du palais des papes, c'est quand j'avais 11 ans, c'est quand il y avait Henri 4 et c'était la foi où Philippe Torreton jouait Henri 4 dans la cour d'honneur. Donc c'était la première foi que j'allais dans la cour d'honneur. J'étais trop content d'aller voir ce spectacle et je me souviens que pour dédramatiser le fait de m'emmener au théâtre, mon père m'avait dit, Henri 4, c'est comme Rambo, si t'as pas vu ni le 1, ni le 2, ni le 3, tu ne vas rien comprendre à l'histoire, ça m'avait fait beaucoup rire. Je ne me souviens pas du spectacle mais j'avais passé une très bonne soirée.

   Quelques années plus tard, ma mère avait eu des places pour la générale de Platonov, mis en scène par Eric Lacascade, car elle travaillait à la Caisse d'Épargne et qu'elle avait eu des places par le comité d'entreprise. Et ça lui avait beaucoup plu, donc elle m'a emmené. Elle est allée acheter des places au cloître Saint-Louis et elle m'a emmené voir cette pièce. Mais quand j'ai vu la première partie de cette pièce, jamais je ne me suis autant ennuyé de ma vie. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait sur le plateau, je ne comprenais pas ce que les gens disaient, je ne comprenais pas pourquoi les personnages étaient de part et d'autre de la scène comme ça, ni ce qu'ils se disaient entre eux, les sentiments, pourquoi ils n'étaient pas proches pour dire leur amour. Je ne comprenais rien et à l'entracte j'étais très en colère. Je me suis dit, Tchekhov, c'est vraiment les Feux de l'amour pour les bourges et le « in » c'est pas pour moi et plus jamais j'irai au festival d'Avignon et donc je ne suis pas allé voir la deuxième partie.

   C'était un soir de grand vent je me souviens. Et je cherchais des amis pour faire la fête avec eux mais comme il faisait très froid, il n'y avait personne dans la rue. J'étais très jeune, je n'avais pas mon permis de conduire donc j'ai attendu devant la cour d'honneur jusqu'à trois heures du matin que ma mère sorte pour qu'elle me ramène chez moi. Et à partir de là, j'ai dit « plus jamais j'irai au théâtre, plus jamais j'irai dans le in, c'est vraiment pas pour moi » !

   Et quelques années plus tard, j'avais entendu parlé d'une pièce qui s'appelait Woyceck qui se passait dans le milieu des prolétaire. Et j'étais amoureux d'une fille qui s'appelait Amandine et je me suis dit que le meilleur moyen de conquérir son cœur était de lui offrir un spectacle dans la cour d'honneur. Donc j'ai économisé et je suis allé au Cloître Saint-Louis avec mon argent de poche et je ne lui ai pas dit. Puis je lui ai donné rendez-vous devant l'Opéra Théâtre pour la perdre et je lui ai bandé les yeux. Et je l'ai guidé les yeux bandés dans les rues d'Avignon : rue des Teinturiers, rue des Fourbisseurs...et je la guidais les yeux bandés. Et on est arrivé dans la cour d'honneur, on s'est fait arraché nos billets elle avait les yeux bandés, on est monté dans les gradins elle avais les yeux bandés et je lui ai débandé les yeux seulement quand on était assis dans les gradins. Et là quand j'ai vu le décor d'Ostenmeier avec des panneaux publicitaire et l'opposition avec la pierre du palais des papes, ça m'a beaucoup plu. Et à un moment donné, il y a eu une coupure et des rappeurs sont arrivés et ont chanté en français. Et là je me suis dit que si on pouvait mettre du rap dans la cour d'honneur, le festival c'était pour le tout le monde. Et à partir de ce moment-là je suis revenu au festival et j'ai commencé à aller voir d'autres spectacles.

   Et quelques années plus tard, je suis allé voir un spectacle de Warlikowksi qui s'appelait Apollonia et à un moment donné dans ce spectacle il y a un extrait du livre de Jonathan Littell et qui disait comment les nazis avaient fait pour être le plus rentable et faire le plus de morts possibles. Et quand j'ai entendu ce texte, ça m'a fait tremblé, ça m'a touché, ça m'a donné envie de pleurer. Et à la fin du monologue de l'acteur, j'étais en colère, j'ai eu un sentiment bizarre en moi. J'avais envie de détester le metteur en scène Warlikowski car je trouvais qu'il renvoyait un portrait pas très glorieux de la condition humaine et à la foi j'avais envie de l'adorer parce qu'il me faisait prendre conscience de choses graves et importantes et à la sortie de la pièce j'avais envie de me révolter et de changer le monde. » 

Joué du 17 au 20 juillet 2013 au Festival d'Avignon à la cour d'honneur, Palais des Papes.
Cour d'honneur 

Conception et mise en scène : Jérôme Bel 
Assisté de : Maxime Kurvers
Avec les spectateurs : Virginie Andreu, Elena Borghese, Vassia Chavaroche, Pascal Hamant, Daniel Le Beuan, Yves Leopold, Bernard Lescure, Adrien Mariani, Anna Mazzia, Jacqueline Micoud, Alix Nelva, Jérôme Piron, Monique Rivoli, Marie Zicari 
et les Interprètes : Isabelle Huppert, Samuel Lefeuvre, Antoine Le Ménestrel, Agnès Sourdillon, Maciej Stuhr, Oscar Van Rompay

Extraits des textes
Médée d'Euripide, traduction française Myrto Gondicas et Pierre Judet de la Combe 
Le Prince de Hombourg d'Heinrich von Kleist, traduction française Jean Curtis 
Les Bienveillantes de Jonathan Littell, traduction polonaise Katarzyna Kaminska-Maurugeon
L'École des femmes de Molière

Musiques
Philipoctus De Caserta (Codex Chantilly)
Scott Gibbons
Wolfgang Amadeus Mozart 
Richard Wagner

Forme libre / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
15 sept. 2013

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MYTHES FONDATEURS ET AVANT-GARDE 

   Jan Fabre était, lors de la 67e édition du Festival d'Avignon, l'un des artistes invités à l'occasion de la dernière programmation signée Hortense Archambault et Vincent Baudriller. 

   Créé il y a trente ans au Cinéma Monty à Anvers [1] , Le Pouvoir des folies théâtrales demeure une pièce singulière quant à sa démarche épistémologique. Dernier volet de la trilogie après Le théâtre écrit avec un k est un matou flamand (1981) et C'était du théâtre comme c'était à espérer et à prévoir (1982), Fabre élabore une nouvelle structure expérimentale et présente un éloge des créations artistiques qui ont marqué l'évolution du spectacle vivant.

   Cette proposition nous interroge directement sur la genèse de l'acte théâtral et évoque les différentes ruptures dans l'évolution artistique contemporaine. Sa construction semble ainsi délimiter, à travers l'élaboration d'un rituel mystique, des enjeux universels sur l'esthétique théâtrale et ses desseins humanistes.

   En se qualifiant de « prêtre et philosophe » en 1984, Jan Fabre nous permet d'aborder Le Pouvoir des folies par l'étude successive d'un caractère hiératique inhérent à la création artistique, ainsi qu'une réflexion sur l'essence de son esthétique théâtrale.

 

SACRALITÉ DE L'ACTE CRÉATEUR 

    Le Pouvoir des folies théâtrales se construit sous la forme d'une pièce de 16 scènes successives sans interruption. Fabre compose sur un plateau nu, éclairé par 23 ampoules de faible intensité, suspendues en quadrillage à mi hauteur, et habille le fond de scène par un écran blanc sur lequel seront projetées des œuvres picturales.

    La pièce commence dans l'obscurité, on entend un court extrait sonore de l'opéra Penthesilée de Schoeck [2], répété de façon litanique. Ce même chant clôture le Pouvoir des folies, accompagnant cette fois-ci un homme siégeant entre deux lampadaires, allumés au moyen d'un interrupteur à pédale. Cette détermination de l'espace traduit ainsi un temps ritualisé durant lequel les comédiens subissent ce qui pourrait s'apparenter à une succession d'étapes initiatiques.

    L'épreuve que constitue l'introduction d'une comédienne sur la scène, en début de spectacle, évoque le premier stade du rite : l'initiation. En effet, celle-ci se fera violemment refuser l'accès au plateau jusqu'au moment où elle répondra enfin à la question: « 1865 ? ». Cette admission élitiste délimite un environnement clos. De l'obscurité à la lumière - les colonnes finales pouvant éventuellement symboliser deux colonnes maçonniques - le lieu fermé sera celui des apprentissages.  

    Par un procédé de mise en abyme, les comédiens s'incarnent comédiens, évoluant dans leur propre processus de travail. L'acquisition du savoir théâtral se déroule sous la forme répétée d'exercices physiques performatifs, d'improvisations [3]. L'assimilation des différentes créations artistiques avant-gardistes se réalise par des salves répétitives de titres d'œuvres, associés au nom de leur auteur, lieu et date de création ; ceci constituant l'unique texte du Pouvoir des folies.

   Si l'ostensible sentiment de destruction habite chaque scène, il serait maladroit de l'associer à une vision chaotique gratuite. La violence des rapports de domination, les multiples mises à morts expriment différents stades du rite créateur et élaborent une succession de sacrifices : le sacrifice des grenouilles dans la scène n°3, écrasées suite à l'échec de leur transformation par les tentatives de baisers infructueux, le sacrifice d'un double de l'empereur nu, le sacrifice de l'amour impossible à travers l'utilisation des couples Tristan et Isolde, Salomé et Saint Jean Baptiste, les gifles mutuelles échangées sur les paroles de la Habanera de Carmen. 

   Le sacrifice et la mise à mort expriment alors une nécessité chez Fabre qui associe le théâtre à une « fête de la mort » [4]. Lorsque celui-ci ajoute qu'une « prestation d'acteur réussie va de pair avec une mort réussie sur scène », il met en lumière le sacrifice ultime, celui de ses comédiens.

   Dans la scène n°5, deux acteurs avancent en ligne droite vers le bord de scène. Ils se cachent les yeux avec un bandeau noir. L'acteur 10 tient un couteau de boucher. Ils commencent, chacun de leur coté à se balancer sur l'avant-scène [5]. Le personnage d'Œdipe, possesseur de la Vérité, chancelant sur le bord de scène après s'être crevé les yeux est associé, dans Le Pouvoir des folies, à la figure du metteur en scène (référencé également à la scène n°3 lors de la projection du tableau l'Art/Les caresses de Khnopff). Fabre déclare, lors du travail en répétition : 

   « un processus de travail est un groupe d'aveugles - les acteurs et les danseurs - qui se laisse guider par un aveugle - le metteur en scène - avec une canne blanche. » [6]

   Le couteau, ici, se substitue à la canne blanche, et le metteur en scène, funambule aveuglé, trébuchant sur la ligne de la création, assène au comédien de répétitives attaques de poignard. L'apparente image du meurtre dans l'acte créateur souligne ainsi toute sa gravité, et le retour répétitif du comédien au supplice révèle le dévouement à la mission que Fabre lui intime. Le comédien, par son engagement, acquiert un statut chevaleresque que Fabre qualifie de « guerrier de la beauté » et s'inscrit dans un ordre divin en devenant « prophète ». [7]

   Les comédiens, ces « voix qui entendent et qui voient » [8], deviennent les instruments de l'Art et doivent permettre, sur la scène des illusions, l'apparition du Miracle.

   Successivement confrontés à l'échec, aveugles et en déséquilibre sur la ligne créatrice, ils demeurent impuissants devant l'état persistant des grenouilles. Durant plus de trente minutes, la résurrection simulée, répétitive, de quatre Eurydice dans la scène n°14, ne démobilise pas leurs Orphée respectifs, qui, malgré l'épuisement, après leur disparition finale, tentent encore et encore la résurrection d'un corps absent, caressant et portant le vide.

   Cette vision intrinsèque du théâtre dans le théâtre permet à Fabre de défendre l'idée d'une renaissance de la création artistique. En déclarant : « je suis l'incarnation d'une gloire passée» [9], il déclame les grandes dates successives de la création contemporaine, et vénère leurs auteurs, qui accèdent ainsi au rang de saints. Lorsque Fabre se qualifie d'« artiste cannibale », il ingère ses pères sur scène, et engendre son théâtre dans un passé en cendres, possiblement matérialisées dans la scène n° 6 par les bris d'une cinquantaine d'assiettes détruites.

 

UNE RENAISSANCE DE LA TRAGÉDIE 

   La réflexion sur l'esthétique théâtrale présentée dans Le Pouvoir des folies se nourrit explicitement des concepts issus de La Naissance de la Tragédie de Nietszche. L'importance du mythe, le rôle de la musique sont autant de notions élaborant une cohésion entre les différentes scènes.

   Dans la scène n°3, deux comédiens nus, portant une couronne, s'enlacent et dansent un tango. L'illustration d'une scène orgiaque rappelle le déroulement de certaines fêtes antiques, notamment la célébration des dionysies helléniques. Cette union de deux divinités pourrait symboliser l'alliance entre Dionysos et Apollon, les deux puissances artistiques sur lesquelles repose la conception artistique selon Nietzsche :

   « Ces deux inspirations si différentes suivent un chemin parallèle [...] jusqu'à ce qu'enfin, par un miracle métaphysique de la volonté, ils apparaissent unis et engendrent dans cette conjonction l'œuvre d'art à la fois dionysiaque et apollinienne : la tragédie. » [10]

   L'alliance de ces deux pulsions peut être alors retrouvée par la dualité des deux comédiens nus et par le polymorphisme matériel de la mise en scène : les peintures projetées, la musique, la danse, représentant ainsi les différentes disciplines artistiques associées aux deux divinités.

 

LE MYTHE FONDATEUR 

   Lorsque Jan Fabre affirme que:

   « Le vrai théâtre d'avant-garde est empreint de mythologie et de philosophie. » [11]

  Il souligne la puissance du mythe décrite par Nietzsche [12], cette « réduction de l'univers qui, parce qu'il est un microcosme du monde phénoménal, ne peut se passer de miracle. » [13]

   Fabre implique dans Le Pouvoir des folies des héros et des symboliques de plusieurs époques. Ainsi se côtoient les spectres d'Œdipe, Orphée, Electre, de personnages médiévaux et d'autres issus de contes populaires (le Prince-grenouille des frères Grimm, l'Empereur des habits neufs d'Andersen) [14].

   Le rôle de l'artiste, « utiliser les fragments du passé pour tracer de nouvelles frontières » [15] suppose alors une éducation et une érudition, que ses comédiens sur scène acquièrent au sein d'une discipline intellectuelle et corporelle.

 

MUSIQUE ET PLASTICITÉ DU MYTHE 

   La musique et notamment l'usage de l'opéra romantique allemand occupent une place déterminante dans Le Pouvoir des folies.

   L'écriture de Jan Fabre est, en elle-même, proche d'une partition musicale. Lors du jeu des modulations qu'il effectue sur les extraits musicaux, (répétitions a cappella, puis avec orchestre, détournement de la voix par l'utilisation d'un baryton à la place d'une soprane, par exemple), le respect du rythme reste un élément essentiel. Par conséquent, à la scène n°8, deux comédiens placés face à face récitent un extrait d'Elektra (Richard Strauss) en respectant les temps, les pauses et le souffle nécessaire comme s'il était chanté. Cette notion architecturale d'un « double-rythme » se retrouve également dans les déplacements des comédiens. Fabre joue avec la superposition de deux actions, de deux rythmes, disposés le plus souvent en front et fond de scène. 

   Unique texte associé à la succession de dates, les extraits de livrets d'opéra participent à l'élaboration de la dramaturgie. Richard Wagner, auquel Nietzsche avait dédié la Naissance de la tragédie, se voit dans la pièce de Fabre l'initiateur de la chronologie des différents hommages en permettant à la comédienne disposée en avant scène de pénétrer sur l'espace clos du théâtre en citant l'année de création du festival de Bayreuth.

   Wagner est le créateur du Gesamtkunstwerk, « l'œuvre d'Art totale », caractérisée par Marcella Lista [16] comme:

   « L'utilisation simultanée de nombreux médiums et disciplines artistiques, par la portée symbolique, philosophique ou métaphysique qu'elle détient. Cette utilisation vient du désir de refléter l'unité de la vie ». [16]

   L'admiration que manifeste Nietzsche devant la création wagnérienne, en particulier pour l'œuvre de Tristan et Isolde, provient en partie de l'importance qu'il donne à la musique au sein d'une certaine hiérarchie artistique. Selon ce dernier, c'est la musique qui donne vie au mythe [17]. Il déclare ainsi dans La Naissance de la tragédie :

   « La musique offre au mythe une signification métaphysique si pénétrante et si persuasive, que ni le mot, ni le spectacle ne sauraient atteindre sans son aide ». [18]

   Dans la scène des aveugles décrite précédemment, Fabre introduit les derniers mots d'Isolde avant qu'elle ne succombe devant le corps de Tristan. [19]

   "Seht ihr's, Freunde? Säh't ihr's nicht! Immer lichter wie er leuchtet, Sternumstrahlet hoch sich hebt? Seht ihr's nicht? [...] Freunde! Seht! Fühlt und seht ihr's nicht? Höre ich nur diese Weise, Die so wundervoll und leise, Wonne klagend, alles sagend, Mild versöhnend aus ihm tönend, In mich dringet, auf sich schwinget, Hold erhallend um mich klinget? Heller schallend, mich umwallend, Sind es Wellen sanfter Lüfte? Sind es Wogen wonniger Düfte? Wie sie schwellen, mich umrauschen, Soll ich atmen, soll ich lauschen? Soll ich schlürfen, untertauchen? Süß in Düften mich verhauchen? In dem wogenden Schwall, in dem tönenden Schall, In des Weltatems wehendem All, – Ertrinken, versinken, Unbewusst, – Höchste Lust!

   Le voyez-vous, amis ? Vous ne le voyez pas Toujours plus clair, comme il brille, Comme il s'élève rayonnant d'étoiles ? Vous ne voyez pas [...] Mes amis ! Regardez ! Vous ne le sentez pas, vous ne le voyez pas ? Suis-je seule à entendre cette mélodie Sortant de sa bouche, merveilleuse, douce, Délicieuse et plaintive et qui exprime tout, Douce, apaisante, prenant son envol, Me pénètrant et me baignant De son chant sublime ? Sons lumineux qui m'emportent, Sont-ce les ondes d'une douce brise ? Sont-ce des vagues de parfums délicieux ? Comme elles gonflent et murmurent autour de moi, Dois-je respirer, dois-je- écouter ? Faut-il savourer, faut-il plonger ? Dois-je me griser de parfums délicieux ? Dans le flot qui monte, dans le son qui vibre, Dans la grande respiration du souffle du monde Me noyer, m'engloutir, Sans conscience – Extase ! "

   Il est légitime de se questionner sur une possible allégorie du théâtre en la figure de Tristan. Mais la dimension spirituelle décrite par Nietzsche se manifeste encore dans Le Pouvoir des folies par la finalité de ces extraits de livrets. Par conséquent, le choix de prononcer de manière répétitive "Seht ihr's, Freunde ? Säh't ihr's nicht ! / Le voyez vous, Amis, Ne le voyez vous pas !", ou encore "Ob ich nicht höre ? / Si je n'entends pas ?" issu du final d'Elektra, permet aux comédiens - ces différents corps en apprentissage - l'acquisition progressive d'une fonction sensorielle.

 

ANIMALITÉ / HUMANITÉ 

   Le rapport à l'animalité est récurrent dans l'œuvre de Jan Fabre [20]. Dans Le théâtre écrit avec un k est un matou flamand (1981), il présente la confrontation dans un lieu familial entre le personnage de la beast et les protagonistes de l'antre. La réflexion qu'il développe s'attache à définir la limite entre animalité chez la bête et humanité chez l'humain.

   Dans la scène n° 6 du Pouvoir des folies, lors de l'exercice d'improvisation en chiens, les acteurs dévorant le contenu imaginaire d'une assiette, incarnent-ils « l'homme sans mythe, cet éternel affamé » décrit par Nietzsche lorsque celui-ci s'inquiète de la « fébrile agitation de cette civilisation qui se jette avidement sur la nourriture » [21] ? Le mythe, dont le naufrage « nous invite à réfléchir sérieusement à l'étroite et nécessaire union qui existe entre un art et un peuple, [...] la tragédie et l'Etat »  [22], s'attribue alors un pouvoir politique, par sa fonction sociétale et civilisatrice.

   Les comédiens, dépossédés de noms, numérotés dans le conducteur [23], incarnent des sujets anonymes, portant un costume de base, pantalon noir et veston noir avec chemise blanche. Une série de déshabillages/rhabillages anarchique lors de la scène n°4 aboutit, par le détournement de la fonction normative du vêtement, à une distinction spécifique des différents comédiens [24]. La singularité, d'abord immobile, contamine le mouvement corporel, et les différents actes performatifs permettront l'acquisition d'une démarche personnelle outrée, caricaturale.

   De la libération du corps, de l'acquisition cannibale du savoir et du langage, l'Etre devient ainsi progressivement Individu puis acquiert la statut d'Homme. Serait-ce le réel pouvoir des folies théâtrales ? A travers le prisme des différentes illusions déceptives, c'est finalement la seule métamorphose possible.

 

CONCLUSION 

   Avec Le Pouvoir des folies théâtrales, Jan Fabre propose une réflexion sur les enjeux de la création théâtrale. Par l'utilisation du mythe antique et de la littérature enfantine, sa troupe de comédiens-guerriers œuvre pour la défense de l'Art et sa nécessaire action civilisatrice.

   Le dispositif, au sens foucaldien [25], qu'offre la scène de théâtre permet la rédaction symbolique d'un manifeste rendant hommage aux gloires passées, et lui permet de s'inscrire dans l'évolution de la création avant-gardiste. De son statut paradoxal de «prêtre» et de «philosophe», il déclarera lui-même en 1984 "devoir son pouvoir de metteur en scène aux secrets qu'il possède et aux vérités qu'il propage ; aux mystères cachés et aux preuves rationnelles qu'il apporte."[26]

 

[1] «De macht der theaterlijke dwaasheden». Première représentation au Teatro Carlo Goldoni, Venise, le 11 juin 1984. Fabre, Jan. Le Pouvoir des Folies théâtrales. L'Arche Editeur, 2009. 120 p. ISBN : 2851817108
[2] Ibid. p. 62. «Nicht ? Küsst'ich nicht ? Zerrissen wirklich ? So war es ein Versehen. Küsse, Bisse, das reimt sich, und wer recht von Herzen liebt, kann schon das eine für das andere greifen./Non ? Je ne l'ai point embrassé ? /Déchiré, vraiment ? /Je me suis donc mépris, /Enlacer, lacérer, cela rime, /et celui qui aime d'un cœur ardent, /peut prendre l'un pour l'autre.»
[3] Fabre, Jan. Journal de nuit (1978 - 1984). L'Arche Editeur, 2012. 233 p. ISBN : 9782851817785. «Louvain, 17 novembre 1983 : un exercice que j'aime tout particulièrement observer. Deux acteurs se font face. L'un gifle l'autre au visage, l'autre sourit. Le premier frappe de plus belle, le deuxième rit doucement. Nous répétons le geste crescendo pendant une heure jusqu'à atteindre un climax.»
[4] Ibid. p. 203. « Anvers, le 28 mars 1984 »
[5] FABRE, Jan. Le pouvoir des Folies théâtrales. p. 30.
[6] FABRE, Jan. Journal de nuit. p. 201.
[7] Ibid. p. 213.
[8] Ibid. « Nancy, 18 juin 1984. »
[9] Ibid. p. 191.
[10] NIETZSCHE, Friedrich, La naissance de la Tragédie, 1871, traduction Cornelius Heim. Edition Gonthier. p. 17.
[11] FABRE, Jan. Journal de nuit. p. 208.
[12] NIETZSCHE, La naissance de la Tragédie. p. 149. « Seul le mythe est capable de sauver toutes les forces de l'imagination et du rêve apollinien d'une prolifération vagabonde et désordonnée ».
[13] Ibid. p. 148.
[14] L'utilisation du conte est développée dans la critique Pour en finir avec les chefs d'œuvre, dans laquelle Anne-Sophie Deveau analyse l'épreuve du langage dans Le Pouvoir des folies théâtrales.
[15] FABRE, Jan. Journal de nuit. p. 158. « Anvers, 19 mars 1983 »
[16] Maître de conférence en histoire de l'art, programmatrice art contemporain au musée du Louvre.
[17] NIETZSCHE, La naissance de la Tragédie. p. 136.« Entre la signification universelle de la musique et l'auditeur accessible à l'esprit de Dionysos, la tragédie dresse un grand symbole, le mythe, et suscite dans le spectateur l'impression que la musique n'est que le moyen suprême d'animer le monde plastique du mythe. »
[18] NIETZSCHE, La naissance de la Tragédie. p. 137.
[19] WAGNER, Richard, Tristan und Isolde, opéra créé le10 juin1865 à Munich. Acte III, scène 3.
[20] Performance à Londres, le 26 mai 1983 : Fabre loue un smoking, chapeau boule et canne compris. Il fait les cent pas devant Buckingham Palace pendant quatre heures tout en essayant de pénétrer régulièrement à l'intérieur du palais. Il est accompagné de James, son asssistant qui lui chuchote en permanence dans l'oreille : Don't forget you are an animal.
[21] NIETZSCHE, La naissance de la Tragédie. p. 149.
[22] Ibid. p. 151.
[23] FABRE, Jan. Le pouvoir des Folies théâtrales. « Pièce de théâtre pour cinq femmes et dix hommes, parmi eux un chanteur d'opéra. » Les dialogues et actions sont précédés par une numérotation désignant le comédien approprié [Acteur 1 à 10] et [Actrice 1 à 5].
[24] Ibid. p. 29. « l'Actrice 5 porte son veston sur la tête, l'Acteur 3 porte son pantalon sur la poitrine, l'Acteur 2 a enfilé sa chemise avec l'arrière à l'avant, l'Actrice 4 a placé ses chaussures sur ses épaules, sous son veston, l'Acteur 9 porte ses chaussures comme des gants, etc »
[25] La théorie du dispositif, comme lieu résultant des relations de pouvoir et permettant la création d'un savoir, est développée par Michel FOUCAULT dans Surveiller et Punir (1975) ; ouvrage que Jan Fabre découvre lors de la création du Pouvoir des folies. Les enjeux disciplinaires imposés aux comédiens sont les axes de recherche traités par Anne-Sophie Deveau dans la critique Pour en finir avec les chefs d'œuvre (Cie. Oracle, 2013).
[26] FABRE, Jan. Journal de nuit. p. 205. « Anvers, 7 avil 1984

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Rédaction / / Avignon / 
Posté par : Lionel Mathieu
10 sept. 2013

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Le Pouvoir des folies théâtrales, donné deux jours lors de la 67ème édition du Festival d'Avignon, est une reprise de la création de 1984, dernier volet de la trilogie commencée avec Théâtre écrit avec un "k" est un matou flamand en 1981 et C'est du théâtre comme c'était à espérer et à prévoir l'année suivante. Le metteur en scène et plasticien flamand présente ainsi la renaissance spectaculaire d'une mise à l'épreuve et d'une mise à mort du théâtre. Il propose une exécution « retardée par des interruptions calculées et multipliée par une série d'attaques successives »[1].

 

EN DEÇA DU TEXTE, L'ÉPREUVE DE LA PAROLE

   Fabre met tout d'abord à l'épreuve le verbe. Le seul texte prononcé - outre les paroles tirées des livrets d'opéra - consiste en une litanie de références aux moments-clés - car subversifs - de l'histoire du théâtre, de la danse et de la musique. Le spectacle se fait alors « incarnation d'une gloire passée » [2]. Dès 1983, le metteur en scène affirme que « le théâtre doit, la rage au coeur, dépasser le langage, la condition de notre bouche. / Sinon le théâtre trahit l'instinct, l'intuition et l'intelligence du corps. / Nous devons parler le langage du théâtre par tous les trous de notre corps »[3]. Il fait alors dialoguer dates, titres, artistes et lieux de création, matière brute dont la dramaticité n'est pas d'emblée évidente ; cependant des enjeux se font jour car ces « faits arides »[4] deviennent dramatiques. En effet, les intentions de jeu des comédiens remotivent ce texte lacunaire, répété jusqu'à se vider de sa substance, ne laissant au plateau qu'un prétexte aux conflits de domination donnés à voir sur scène. Si le texte théâtral est mis à rude épreuve, le corps n'est pas en reste. 

 

AU-DELÀ DU GESTE, L'ÉPREUVE DU CORPS

   Les corps sont mis au pas, Fabre semble ainsi adopter une approche foucaldienne de la "sanction normalisatrice". Ce n'est pas un hasard s'il convoque dès 1980 le philosophe français [5] pour ensuite y revenir en 1984 : 

   « En guise de préparation au travail, / je dévore et pille un livre du philosophe français Michel Foucault. / Je le lis en anglais : Punishment and Discipline. »[6]

   La base uniforme, visible dans le choix des costumes, pantalon noir et chemise blanche pour tous, est peu à peu déconstruite par des individus tentant de s'extraire d'une norme répressive. Ils subissent alors la punition car « Est pénalisable le domaine indéfini du non-conforme ». En effet :

   « Quand un écolier n'aura pas retenu le catéchisme du jour précédent, on pourra l'obliger d'apprendre celui de ce jour-là, sans y faire aucune faute, on le lui fera répéter le lendemain ; ou on l'obligera de l'écouter debout ou à genoux, et les mains jointes »[7]

   Boucles et répétitions textuelles sont au coeur du travail de Fabre, mais ces dernières sont redoublées par l'appropriation du corps des acteurs par une instance supérieure, ici la figure démiurgique du metteur en scène. Il pourrait dire avec Foucault qu' « un corps discipliné est le soutien d'un geste efficace »[8] afin d'extraire « toujours davantage d'instants disponibles et de chaque instant, toujours davantage de forces utiles »[9]. Sans arrêt, les corps sont poussés dans leurs retranchements, comme en témoigne la scène 7 : 

   « les acteurs commencent à courir rapidement sur place. C'est une course. Les coureurs essaient de courir au même rythme que les autres. Si l'un d'entre eux commence à sprinter, les autres doivent le suivre. »[10].

   Cette course effrénée, durant une vingtaine de minutes, s'accompagne d'un échange continu d'interrogation collective sur les dates importantes de l'art de la performance et du théâtre. Est alors projeté en fond de scène Le Serment des Horaces de David. Tite-Live, dans son Histoire Romaine, rapporte dès le Livre I cette légende fondatrice[11]. Le combat entre les Horaces et les Curiaces fait écho à la course des comédiens. Fabre désigne ses champions, et travaille à l'épuisement de ces derniers. 

   Cet « exercice, devenu élément dans une technologie (artistique) du corps et de la durée, ne culmine pas vers un au-delà ; mais il tend vers un assujettissement qui n'a jamais fini de s'achever. »[12].

   Les références s'amoncellent jusqu'à emplir l'Opéra-théâtre du parterre aux cintres, laissant au plateau ces références du passé comme autant de dépouilles qu'il convient d'agréger pour créer une forme nouvelle, que l'on travaillera ensuite jusqu'à épuisement. Les acteurs se muent alors en Sisyphes post-modernes, condamnés à rouler ce bloc d'illustres ancêtres. La métaphore du bousier est centrale dans la pensée de Fabre, il y revient à trois reprises dans le Journal de nuit :

    « Un acteur est un practicien de l'art de rouler de la bouse »[13],
   « Mon acteur/danseur, un bousier sacré. / Mon acteur/danseur, mon Sisyphe. / La représentation est une immense cavité qui sert à accueillir l'oeuf du bousier sacré. / Ainsi naîtra un nouveau fils de l'obscurité qui aspire à la lumière »[14],
   « Le travail de Sisyphe a commencé. / Mon espace va se remplir de héros et de rochers. (Tout sera de chair et de sang. / Même les rochers seront fatigués et exténués) »[15].

   La répétition d'un même geste, poussant la fatigue à son paroxysme, fonde le principe de ce spectacle harassant car: 

   « "Répéter", c'est justifier l'avenir / en nous délivrant du passé, / de telle sorte que nous exaltons le "présent" / ou que nous l'anéantissons »[16].

 

LE PUBLIC MIS À L'ÉPREUVE 

   Les conditions même de représentation sont extrêmes : 4h20 de spectacle sans entracte, la feuille de salle fait frémir. Un texte à peine signifiant, des corps répétant leurs actions pendant des dizaines de minutes, le spectateur est lui-même poussé dans ses derniers retranchements. La catharsis passe pourtant par ces épreuves comme autant de rites initiatiques, car

   « Répéter enlèvera le sable de l'habitude des yeux du spectateur en le frottant. / Répéter dévoilera au public une existence occulte, à l'extérieur de l'action, à la surface de la vie »[17].

   Certains spectateurs, épuisés, abandonnent, et un quart de la salle s'enfuit avec perte et fracas ce soir-là. Certains s'assoupissent et entrevoient le spectacle dans un état semi-conscient, d'autres font l'effort de maintenir, coûte que coûte, leur attention pour ne rien perdre de cette expérience hors du commun. Ils peuvent ainsi accéder à ce qu'Antonin Artaud défend, à savoir « un théâtre où des images physiques violentes broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur. »[18]

   Sur le moment, le sens échappe, cependant il s'inscrit en nous profondément, car comme le dit Joseph Danan :

   « C'est, dès lors, une toute autre attitude qui est requise du spectateur, qui n'annule pas l'intellection mais la déplace dans le temps. Le spectateur revient de là (de l'Enfer) avec une somme d'impressions, de sensations, en tout point comparables à celles d'une expérience vécue. Sa pensée la fera sienne et elle l'accompagnera, parfois pendant des années, ou toute une vie. C'est peut-être ainsi que pourrait se définir un théâtre de l'expérience : celle-ci exige d'être vécue au présent, mais sa valeur se mesure à la trace qu'elle laisse »[19].

   En effet, plusieurs semaines après, ce spectacle nous hante encore, et il y a fort à parier que certaines des images proposées vont s'inscrire durablement dans notre chair meurtrie par l'épreuve que nous a fait endurer Fabre.

   Cette mise à l'épreuve des certitudes du spectateur sur ce qu'est le théâtre s'organise autour d'un dévoilement, d'un procès et d'une exécution.

 

MISE À NU DES MÉCANISMES ILLUSIONNISTES 

   Dès les premières minutes, les codes théâtraux sont malmenés. En effet, les comédiens sont dos au public et observent l'écran de projection en fond de scène sur lequel Le Verrou de Fragonard est projeté. Cette œuvre picturale, dont le sous-titre est Le Viol, permet une mise en abyme du Pouvoir des folies. La lourde tenture rouge chez le peintre fait écho à celle que dresse Fabre sur les bords du plateau. Cependant, le metteur en scène la choisit noire, symbole d'une mort annoncée dont il s'agit, dès le début, de porter le deuil. La séquestration de la femme, l'homme poussant le verrou, rappelle le spectateur à sa propre situation. C'est ainsi que Foucault entend le principe de clôture :

   « Les disciplines en organisant les « cellules », les « places » et les « rangs » fabriquent des espaces complexes : à la fois architecturaux, fonctionnels et hiérarchiques. Ce sont des espaces qui assurent la fixation et permettent la circulation ; ils découpent des segments individuels et établissent des relations opératoires ; ils marquent des places et indiquent des valeurs ; ils garantissent l'obéissance des individus, mais aussi une meilleure économie du temps et des gestes»[20].

   C'est bien de cela qu'il s'agit au théâtre, chaque spectateur se rend « docilement » à la place qu'il a réservée, et de la même manière Fabre assigne des places à ses comédiens en procédant à un strict découpage du plateau[21].

   Deux objets au cœur du Verrou invitent à une lecture métaphorique. Une pomme mise en lumière fait discrètement allusion au péché originel - à la Création et à la Chute- alors qu'un bouquet, jeté au sol, évoque une virginité dégradée, souillée. Le « voyeur » est prévenu : les œuvres du passé, moments marquants de création, vont être foulées au pied. Il s'agit bien d' « en finir avec les chefs d'oeuvre »[22] comme l'écrivait Artaud. L'aspect métathéâtral du spectacle de Fabre prend également appui sur une culture du conte qu'il détourne. Le metteur en scène s'inspire des Habits neufs de l'empereur d'Andersen. Dans le conte, un empereur féru de beaux habits est confronté à deux escrocs qui se font passer pour des tisserands, travaillant une étoffe révolutionnaire car invisible aux sots. Ils oeuvrent sur des métiers vides la nuit, et tout le monde, l'empereur y compris, fait semblant d'admirer le tissu que le roi porte. Mais un enfant, voix de l'innocence, dévoile la nudité de l'empereur. La rumeur enfle mais la foule continue à admirer le manteau de cour et la traîne qui n'existent pas. Il en va de même dans Le Pouvoir des folies. En effet, deux rois entièrement nus dansent alors qu'une foule de courtisans semblent rivaliser dans une caricature de demandes de mécénat. Fabre note dans son conducteur :

   « Un ou deux acteurs se dirigent maintenant avec leur vêtement invisible vers l'empereur à l'avant de la scène pour éveiller son intérêt. Ils paradent devant lui, et tiennent leurs mains sous son nez »[23].

   Cette métaphore se double d'une réflexion sur la création et la réception, oscillant entre hypocrisie et tentation du néant.

 

MISE EN ACCUSATION ET MISE À MORT 

   La remise en cause des créations artistiques qui ont précédé l'oeuvre de Fabre s'annonce sous le signe du danger. Le spectacle est considéré comme un travail de funambule, en équilibre constant entre Eros et Thanatos. Ainsi la projection du tableau de Khnopff L'Art ou Les Caresses lors de la scène 3 laisse apparaître la figure d'une sphinge au corps de guépard et à l'attitude sensuelle. Cette représentation picturale d'une femme fatale en fait une tentatrice diabolique. Dans le choix du guépard, on retrouve la notion de péché originel, car le félin est considéré comme un avatar du serpent, les deux animaux se déplaçant au sol, en rampant. Chez Fabre, le désir est d'emblée associé au danger et à la souffrance comme en témoigne la scène 9, où, sur l'air de Carmen, un comédien et une comédienne se donnent des dizaines de gifles en fredonnant : « L'amour est enfant de bohême, / Il n'a jamais, jamais connu de loi, / Si tu ne m'aimes pas, je t'aime, / Si je t'aime, prends garde à toi ! »[24]. Cette idée liant amour et souffrance est reprise dans l'extrait de Penthésilée d'Omar Schoeck  avec : « Küsse, Bisse, das reimt sich »[25], ainsi que dans l'extrait de Salomé de Richard Strauss : « Ah, ich habe deinen Mund geküsst, Jochanaan. / Ah, ich habe ihn geküsst, deinen Mund, / es war ein bitterer Geschmack auf deinen Lippen. / Hat es nach Blut geschmeckt ? / Nein ! Doch es schmeckte vielleicht nach Liebe »[26]. Eros et Thanatos sont donc intrinsèquement liés chez Fabre. 

   Bien plus, le désir semble conduire à la mort. Des grenouilles sont embrassées puis écrasées. Le drap ensanglanté est exhibé tel une suaire. De même, c'est suite à leur baiser, que la tentative d'étranglement d'un des empereurs nus par son double a lieu. Cette duplicité peut s'expliquer si l'on se réfère à Foucault :

   « Le condamné dessine la figure symétrique et inversée du roi (...) Si le supplément de pouvoir du côté du roi provoque le dédoublement de son corps, le pouvoir excédentaire qui s'exerce sur le corps soumis du condamné n'a-t-il pas suscité un autre type de dédoublement ? »[27].

   Enfin, des assiettes sont brisées, après avoir été goulûment léchées, comme autant de strates de créations dont l'artiste se nourrit avant de les mettre au rebut. Fabre, sans jamais les renier, fait donc table rase et place nette pour le théâtre de demain.

   Avec Le Pouvoir des Folies théâtrales, Jan Fabre envoie ad patres ce que fut le théâtre et son ambition d' « art total »[28]. Cependant, il ne s'épargne pas : la dernière date de ce grand inventaire avant liquidation est celle de son précédent spectacle : C'est du théâtre comme c'était à espérer et à prévoir. Cendre à jamais renouvelée. 

Voir aussi la critique de Lionel Mathieu : Jan Fabre, prêtre et philosophe / Mythes fondateurs et avant-garde

[1] Michel Foucault, Surveiller et punir, Tel, Gallimard, 1975, p.19.
[2] Jan Fabre, Journal de nuit (1978-1984), L'Arche, 2012, p.191.
[3] Ibid, p.160.
[4] Ibid, p.200
[5] « J'ai passé tout l'après-midi chez Jan de Zak. / Nous avons discuté de l'importance de deux philosophes français que nous respectons tous les deux : Michel Foucault et Roland Barthes. », ibid, p.55.
[6] Ibid, p.188.
[7] Michel Foucault, op.cit., p.210.
[8] Ibid, p.179.
[9] Ibid, p.180.
[10] Jan Fabre, Le Pouvoir des folies théâtrales, L'Arche, 1984, pp.37-38.
[11] Une guerre meurtrière éclate entre les habitants d'Albe et ceux de Rome. Pour mettre fin à ce conflit, les chefs des deux peuples concluent un accord : trois frères défendront chaque camp, les Horaces pour Rome et les Curiaces pour Albe. « Dès le premier choc, les cliquetis des armes firent passer un grand frisson dansl'assistance ; tous en perdaient la voix, et le souffle. Mais au coeur de la mêlée, les trois Albains furent blessés, tandis que deux Romains tombaient, mourant l'un sur l'autre. Leur chute fit pousser des cris de joie à l'armée albaine ; les légions romaines tremblaient pour leur unique champion, que les trois Curiaces avaient entouré. Par bonheur il était indemne, trop faible, à lui seul, il est vrai, pour tous ses adversaires réunis, mais redoutable pour chacun pris à part. Afin de les combattre séparément, il prit la fuite, en se disant que chaque blessé le poursuivrait dans la mesure de ses forces. Il était déjà à une certaine distance du champ de bataille, quand il tourna la tête et vit ses poursuivants très espacés. Le premier n'était pas loin : d'un bond, il revint sur lui : Le Horace avait déjà tué son adversaire et vainqueur, marchait vers le second combat. Poussant des acclamations, les Romains encouragent leur champion : lui, sans donner au dernier Curiace, qui n'était pourtant pas loin, le temps d'arriver, il tue l'autre. Maintenant la lutte était égale, survivant contre survivant ; mais ils n'avaient ni le même moral, ni la même force. L'un, deux fois vainqueur, marchait fièrement à son troisième combat ; l'autre s'y traînait, épuisé. Ce ne fut pas un combat : c'est à peine si l'Albain pouvait porter ses armes ; il lui plonge son épée dans la gorge, l'abat, et le dépouille », Tite-Live, Histoire Romaine , I, 25, traduction G. Baillet, Les Belles Lettres, 1940.
[12] Michel Foucault, op.cit. , p.190.
[13] Jan Fabre, Journal de nuit (1978-1984) , p.181.
[14] Ibid ., p.185.
[15] Ibid ., p.200.
[16] Ibid ., p.141.
[17] Ibid., p.144.
[18] Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, in Oeuvres complètes, t. IV, Gallimard, 1964, p.99.
[19] Joseph Danan, Entre théâtre et performance : la question du texte, Actes-Sud Papiers, 2013, p.39
[23] Jan Fabre, Le Pouvoir des folies théâtrales, op.cit., p.28.
[24] Ibid., p.46.
[25] « Enlacer, lacérer, cela rime », Ibid., p. 62. .
[26] « Je l'ai baisé ta bouche / Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres / Etait-ce la saveur du sang ? / Non ! Mais peut-être était-ce la saveur de l'amour. Ibid, p.26.
[27] Michel Foucault, op.cit., pp.37-38.

Joué les 15 et 16 juillet au Festival d'Avignon 2013.
Le Pouvoir des folies Théâtrales.

Conception, mise en scène, scénographie, chorégraphie et lumière : Jan Fabre
Musique : Wim Mertens 
Costumes : Pol Engels, Jan Fabre
Assistanat à la mise en scène : Miet Martens, Renée Copraij
Avec : Yorrith De Bakker, Piet Defrancq, Mélissa Guérin, Nelle Hens, Sven Jakir, Carlijn Koppelmans, Georgios Kotsifakis, Dennis Makris, Lisa May, Giulia Perelli, Gilles Polet, Pietro Quadrino, Merel Severs, Nicolas Simeha, Kasper Vandenberghe.

Rédaction / / Avignon / 
Posté par : Anne-Sophie Deveau
09 sept. 2013

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Entre Bertolt BRECHT (BB) et Howard BARKER (HB) 
Septembre 2013

 

Propos recueillis par Théâtre Oracle, à La Fonderie au Mans, lors de la résidence pour La Pièce de Sept jours dirigée par Bertolt Brecht et Howard Barker, en collaboration artistique. 
Scénographie : David Lynch 
Lumière : Le Caravage 
Son : Georges Aperghis

 

BB : Hallo Howard, wie geht's ?
HB : Hallo, ich bin froh, Bertolt, and you ?
BB : Me too. Sauf une chose. Dis-moi Howard, si le théâtre n’est pas social, à qui s’adresse-t-il ?
HB : Je pense que le théâtre s’adresse aux absents, aux morts, aux vivants qui entendent la tragédie et la violence sans honte. 
BB : Oui. Et que fais-tu du contre-pouvoir, de la résistance, et de la violence sociale ?
HB : Je mets la résistance dans l’alternative. Et je crois que le théâtre - l’art - sauve les Hommes intimement, Bertolt.
BB : Je crois, Howard, que le théâtre - l'art - sauve les Hommes publiquement et que l’Histoire en est un témoin nécessaire. Comme une nécessité publique si tu préfères. 
HB : Oui, c’est intéressant.
BB : Toi aussi, c’est intéressant ce que tu dis. 
HB : Oui. 
(Un silence)
BB : Allons au plateau maintenant. 
HB : Oui allons-y. 

 

Forme libre / 
Posté par : Bertolt Brecht
31 août 2013

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Rencontres avec Adrien Mariani, spectateur au plateau dans Cour d'honneur de Jérôme Bel.
Pour sa création au festival d'Avignon 2013, Jérôme Bel a invité des spectateurs à faire part de leur mémoire de spectateur, sur la scène du palais des Papes. Louise Narat-Linol a rencontré l'un d'entre eux, un mois avant puis 3 jours après les représentations.

 

Adrien, Rencontre n°I : un mois avant

UN SPECTATEUR ORDINAIRE
Je suis habité par ma condition de spectateur. 

Qu'attends-tu du théâtre en général ? 

   J'attends du théâtre que cela me donne envie de changer le monde ! Ou en tous cas, la vision que j'en ai. Après certains spectacles, j'aime ce que j'ai vu. Puis le lendemain je suis en colère, je me dis,
« mais c'est tellement lisse, cela ne donne aucune réflexion ». Il me faut parfois la nuit pour en être dégouté. Ou au contraire, sur le coup, je ne suis pas conquis, je réfléchis toute la nuit, puis le lendemain, je réalise la qualité de ce que j'ai vu. Parfois, l'émotion ne vient pas d'où je m'y attends. Ce sont des questions que j'ai souvent car je suis habité par ma condition de spectateur. Je vais tout le temps au théâtre.

 

UN SPECTATEUR CHOISI
Je dois me projeter dans le passé. 

Comment as-tu rencontré Jérôme Bel ? 

   Il y a trois ans dans le programme du festival, il y avait un appel à témoins pour interroger le spectateur. Jérôme Bel avait donné rendez-vous aux spectateurs pour parler de leurs « souvenirs de cour d'honneur ». J'y suis allé, et j'ai raconté tous les spectacles que j'y avais vus. Quelques mois après, l'assistant de Jérôme Bel m'a appelé et m'a dit que j'étais choisi. Puis nous nous sommes donné rendez-vous à Paris au jardin du Luxembourg. A cette deuxième rencontre, nous avons fouillé ce que j'avais déjà dit. Il m'a dit une chose marquante : « A chaque fois que tu le dis il faut que tu revives ce que tu as vécu ». Je dois me projeter dans le passé à chaque foi. Ensuite, nous avons répété mon texte sur Skype.

A un mois des représentations, est-ce que tu appréhendes ? 

   Parfois, je fantasme les titres des journaux dans la Provence le lendemain : « cours d'horreurs dans la cour d'honneur ». Pendant les répétitions, il y aura sûrement des journalistes et je m'imagine en photo dans les journaux. C'est vaniteux mais ça pourrait arriver ! Sinon, je fais confiance à Jérôme Bel.

 

Adrien, Rencontre n° II : 3 jours après 

LA REDESCENTE
Je dois redescendre sur terre. 

Cela fait maintenant 3 jours que la dernière de Cour d'honneur est passée, comment te sens-tu aujourd'hui ? 

   J'ai mal aux pieds, aux doigts et je me sens très fatigué ! Le dernier soir, c'était difficile. J'avais envie de pleurer et de prendre tout le monde dans mes bras. Aujourd'hui, ça va car je suis encore au Festival d'Avignon : je vois des spectacles. Mais je pense que ma chute sera difficile. 

Cette expérience a-t-elle changé quelque chose dans ta vision du théâtre ?

   Je n'en sais rien encore ! Je verrai avec le recul. En fait c'est très lacanien ce spectacle. Jérôme a fait notre thérapie de spectateur ! (rires). Maintenant, je dois redescendre sur terre.

  

LE PLATEAU
1800 potes à qui raconter une histoire.  

Et comment Jérôme Bel t'a-t-il dirigé dans ton monologue ?

   Il a insisté sur le fait de ne pas laisser trop de place aux rires et aux applaudissements pendant le passage. Le jour de la première, Vincent Baudriller (directeur du festival ndlr) est venu nous voir dans les coulisses, et nous a dit de ne pas cabotiner car nous étions beaux dans notre simplicité. Je pense que c'est un spectacle que j'aurais adoré.

Quel effet ça te faisait quand les gens riaient à ce que tu disais ?

   Je faisais en sorte que cela ne me fasse rien. Le jeu c'était de ne pas cabotiner. Mais cela me faisait très plaisir. C'est comme si j'avais 1800 potes et que je devais leur raconter une histoire ! C'était assez simple.

 

LES RETOURS
C'est plaisant de se faire aborder dans la rue  

Quels retours t'a-t-on fait sur ce travail ?

   A la sortie de la générale, les gens nous abordaient dans la rue pour nous féliciter. C'est quand même plaisant de se faire aborder dans la rue ! Et puis j'ai pu rencontrer des metteurs en scène que j'adore. Un soir, Denis Podalydès est venu dans les loges pour nous dire que c'était le plus beau spectacle sur le théâtre qu'il avait vu. Et il y a eu Castellucci qui nous a dit que c'était « magnifico ». Valérie Dréville aussi... C'était émouvant tous ces retours.

Et comment la critique a reçu ce travail ?

   En fait, nous avons presque fait le travail des critiques sur scène ! Car parfois certains critiques ne vont pas plus loin que « j'ai aimé » ou « je n'ai pas aimé ». Donc je comprends que les critiques aient été irrités ! Ce sont surtout les spectateurs « aguerris » qui ont critiqué la proposition, ceux qui se sentent remplis d'une mission de spectateur, complètement ridicules. Mais les artistes et le public ont aimé ce travail.

 

Joué 17 au 20 juillet 2013 au Festival d'Avignon, Cour d'honneur du palais des papes.
Conception et mise en scène : Jérôme Bel 
Assisté de : Maxime Kurvers
Avec les spectateurs : Virginie Andreu, Elena Borghese, Vassia Chavaroche, Pascal Hamant, Daniel Le Beuan, Yves Leopold, Bernard Lescure, Adrien Mariani, Anna Mazzia, Jacqueline Micoud, Alix Nelva, Jérôme Piron, Monique Rivoli, Marie Zicari 
et les Interprètes : Isabelle Huppert, Samuel Lefeuvre, Antoine Le Ménestrel, Agnès Sourdillon, Maciej Stuhr, Oscar Van Rompay

Extraits des textes
Médée d'Euripide, traduction française Myrto Gondicas et Pierre Judet de la Combe 
Le Prince de Hombourg d'Heinrich von Kleist, traduction française Jean Curtis 
Les Bienveillantes de Jonathan Littell, traduction polonaise Katarzyna Kaminska-Maurugeon
L'École des femmes de Molière

Musiques
Philipoctus De Caserta (Codex Chantilly)
Scott Gibbons
Wolfgang Amadeus Mozart 
Richard Wagner

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
25 juil. 2013

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Louise Narat-Linol (LNL) s'entretient avec Malte Schwind (MS),
critique en Avignon pour le site de l’insensé-scène.

 

LE SPECTATEUR IDÉAL
Celui qui est changé par ce qu’il a vu.

LNL : Pour toi, c’est quoi un spectateur idéal ?
MS : Est-ce qu’il existe ? Je ne sais pas. Le spectateur idéal c’est quelqu’un qui essaie d’être conscient de ses horizons d’attentes et qui est capable de mettre en cause ses certitudes. Mais en même temps, cela tient-il au spectateur ou au spectacle ? Certains spectacles m’ont changé, et changent le spectateur je pense. Sinon, pourquoi faire, ou aller voir du théâtre ?!
LNL : Cite-moi 3 spectacles qui t’ont marqué dans ta vie ?
MS : The old king de Romeu Runa et Miguel Moreira. Je suis sorti et je devais réapprendre à marcher. C’est quand même incroyable que le théâtre fasse cela.

   Brume de dieu de Claude Régy : je suis sorti, j'ai pris le bus Aix-Marseille et j’étais dans un autre monde, il y avait toute cette rapidité autour de moi. Ça m’a boulversé d’être là. Comme si j’avais été extrait de ma quotidienneté. J’avais la sensation d’être de mars.

   Onzième de François Tanguy qui m’a fait découvrir un théâtre que je ne tenais pas pour possible, je regardais en me disant, « ça peut exister ça ?! »

   Mais je n’ai pas beaucoup vu de spectacles dans ma vie car je ne suis pas avec le théâtre depuis longtemps.

LNL : Tu faisais quoi avant ?
MS : De la psycho. 
LNL : Il y a des liens entre la psycho et le théâtre ?
MS : Sûrement, mais j’essaie de les évacuer. Je suis en colère contre la psycho. C’est probablement l’Œdipe, car mon père est psychanalyste (rires).

 

ÊTRE CRITIQUE
Beaucoup de joie et beaucoup de bière.

LNL : Lorsque tu es critique, es-tu un spectateur ordinaire ?
MS : Mon regard change en sachant que je dois écrire. Je me demande à quel point le regard du critique qui doit écrire, fait écran. Il y a une responsabilité différente. Je suis alors dans une grande solitude, avec beaucoup de joie. Et beaucoup de bière aussi. Ce n’est pas un métier bon pour ma santé (rires).
LNL : Quel est ton rapport au plaisir lorsque tu vois un spectacle, ou lorsque tu écris dessus ? 
MS : Pour écrire, il y a un plaisir. Même si ça varie entre une joie et une terreur, ou une torture parfois ! Par exemple, en écrivant, je bois et je fume beaucoup, comme pour me détourner. Mais je peux écrire sur un spectacle pendant lequel je n’ai pris aucun plaisir. J’ai pris un énorme plaisir à écrire sur le Projet Luciole ! Quand je suis sorti, j’étais en colère. Et là ça m’a permis de prendre du plaisir à écrire « Théâtre de boulevard 1 – Projet Luciole 0 ». 

 

CONVERSATION AUTOUR D'ANGELICA LIDDELL
Ah oui, tu penses qu’elle joue ? 

LNL : Pourquoi as-tu choisi d’aller voir ce spectacle Todo el cielo sobre la tierra [1]?
MS : Je n’ai pas vraiment décidé, j’ai suivi "l’insensé". Mais avant d’y aller j’ai lu le texte "Todo el cielo…" Je m’attendais à une mélancolie, quelque chose d’assez noir. J’avais lu aussi qu’elle pratiquait l’automutilation sur scène.
LNL : As-tu été surpris ?
MS : En fait le spectacle m’a laissé assez indifférent, il y avait quelque chose qui ne m’arrivait pas. Et toi tu as pensé quoi de Angelica Liddell ? 
LNL : J’étais troublée, j’ai beaucoup pleuré en fait. Il y a des phrases qui m’ont sidérées. Par exemple sur l’état amoureux : « quand tu tombes amoureux, tu choisis entre la discipline ou la punition », c’est magnifique.
MS : J’étais avec Karelle, une autre critique, et elle aussi était très touchée en sortant. En me voyant plutôt indifférent, elle a dit « ça doit être un truc de filles » ! 
LNL : Oui, il y a beaucoup de discours misogynes sur son travail : on parle d’hystérie féminine…
MS : Mais il y a quand même des signes hystériques dans le spectacle !
LNL : Il y a surtout de l’humour avec ça, et du recul sur ce qu’elle fait. Elle joue, même si ça parle d’elle et qu’on la projette dans ce qu’elle écrit. 
MS : Tu penses qu’elle en joue ?
LNL : Oui je pense qu’elle joue sur cette distance là. 
MS : Lorsqu’elle dit, « maintenant la seule chose qui reste c’est l’humiliation », elle entre dans un regard haineux et dépressif envers elle-même. 
LNL : Je ne trouve pas du tout qu’elle soit dans un état dépressif. C’est tout le contraire, quand tu vois ces trois crocodiles pendus, ce couple de Shangaï qui danse la valse pendant 40 minutes, et cet orchestre, j’ai l’impression qu’elle transforme sa souffrance. Et puis cela ne m’intéresse pas de savoir si ce qu’elle dit est vraiment sa vie. 
Tu te souviens de ces 7 valses d’affilée où seul le titre change ?
MS : Non, la musique aussi change.
LNL : Ah oui la musique change aussi ? Je préférais imaginer qu’il n’y avait que le titre qui changeait.

 

Todo el ceilo sobre la tierra (El sindrome de Wendi),
durée 2h40 - spectacle en espagnol, mandarin, norvégien et surtitré en français.

Joué du 6 au 11 juillet 2013,
Cour du lycée saint-Joseph,
dans le cadre du 67e Festival d'Avignon.

Texte, mise en scène, scénographie et costumes : Angélica Liddell
Lumière : Carlos Marquerie 
Son : Antonio Navarro 
Réalisation des uniformes : Lana Svetlana 
Maquillage et coiffure : Yvette Faustino soutien 
Accessoires : Transcoliseum
Traduction et surtitrage : Christilla Vasserot
Régie générale :  África Rodríguez
Régie son : Antonio Navarro
Régie lumière : Félix Garma, Octavio Gómez 
Direction technique :Marc Bartoló
Production exécutive : Gumersindo Puche 
Production et logistique : Mamen Adeva
Avec : Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Sindo Puche et la chienne Kyra

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
24 juil. 2013

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Julien Bonnet est un acteur issu de la seconde promotion de l’Académie de l’Union de Limoges. Aujourd'hui comédien permanent au CDN de Montluçon, il est aussi cette année metteur en scène du spectacle Le nez dans la serrure, avec la compagnie du Dagor. La compagnie du Dagor est une compagnie limousine fondée par Thomas Gornet, également issu de l’Académie de l’Union.

Le nez dans la serrure : quatre personnages sans parole dans une armoire.  Cette année au Festival Off d’Avignon.

 

UN SPECTACLE EN 4 MOTS

Quatre mots pour Le nez dans la serrure, que t’évoquent-ils ?

Le cloisonnement mélancolique 

   J’ai toujours imaginé que cette armoire était au milieu de nulle part. Le temps s’arrête. A l'heure actuelle, tout va très vite, et les choses sont expliquées en permanence. J’avais envie d’un moment où le temps s’allonge et où personne n’explique le pourquoi du comment. On ne saura jamais pourquoi ces quatre personnages vivent dans une armoire, ni comment ils sont arrivés là. Pour que les spectateurs entrent vraiment dans le spectacle, cela commence avec un temps musical dans le noir et c’est un temps important pour moi. Le temps du départ. 

Le rituel 

   Oui, c’est vraiment une partie importante du spectacle. Les personnages organisent leur vie en fonction de l’espace (une armoire), et pour moi les rituels font partie des choses qui les rassurent. 

L’enfermement

   Je n’ai pas pensé en premier à des personnages enfermés. Je voulais juste raconter l’histoire de gens qui vivent dans une armoire. D’ailleurs dans le travail, nous avons inventé l'histoire de chacun des personnages et nous leur avons donné des noms : Grenache, Mussidan, Elba, Bréauté. Evidemment tout cela n'est jamais dit aux spectateurs.

La bande-dessinée 

   Ah, oui, la bande dessinée prend beaucoup de place dans ma vie. Une phrase de la bande-dessinée Watchmen de Alan Moore et Dave Gibbons a été importante pour moi dans le travail.  Un personnage dit « On vit parce qu’il faut bien, on s’invente après des raisons ».

 

« LA MISE EN SCÈNE ?  GRISANT. »

C’est quoi le spectateur idéal ? 

   Je n’en ai pas. Juste les gens curieux.

Tu préfères jouer ou mettre en scène ? 

   Je découvre la mise en scène, donc comme toutes les nouveautés, c’est grisant. Mais j’adore jouer. Le travail d’acteur, c’est une matière inépuisable.

Artistes ou metteurs en scène de chevet ?

   Aucun metteur en scène ne m’a donné envie de faire du théâtre. Mais mon oncle est comédien et ma sœur faisait du théâtre. Au début, j’ai voulu faire comme elle ! Mon désir s’est construit petit à petit.

Et à Avignon, cette année, des mises en scène t’ont marquées ?

   Celle de Warlikowski, Kabaret. Il y a beaucoup d'engagement et de précision. Les acteurs sont tous superbes. Les lumières sont magnifiques. Il faut s'accrocher et j'aime ça. J’aime les spectacle où tu dois lutter, où tout ne t’est pas servi directement.

Et pour vous, comment s’est passé Avignon ?

   C’était un bon Avignon, il y a eu du monde, spectateurs et professionnels. Jouer 20 fois de suite à Avignon de suite permet vraiment d’approfondir le travail. De toute façon, c’est passionnant le travail !

 

Juillet 2013, Festival d'Avignon off, Espace Alya.

Conception et mise en scène : Julien Bonnet 
Collaboration artistique : Marine Duséhu 
Avec : Pierre-Jean Etienne ou Alexandre Le Nours, Rama Grinberg, Franck Magis, Judith Margolin 
Scénographie :  Jean-François Garraud 
Lumière : Claude Fontaine
Musique originale et régie son : Adrien Ledoux 
Régie lumière : Claude Fontaine ou Tof Goguet
Costumes : Sarah Leterrier
Chorégraphie et mouvements : Emilie Yana

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
20 juil. 2013

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Thomas Visonneau et Aurélie Ruby sont sortis de l’Académie du Théâtre de l’Union il y a 3 ans (2010) et ont monté leur compagnie en Limousin : Le Pas Suivant. Cette année au festival off en Avignon, ils présentent au Grenier à Sel Le temps des contes est révolu, une adaptation de textes de Dostoïevski, entre autres. Aurélie joue et Thomas met en scène. Le temps des contes est révolu est la deuxième partie d’un dyptique autour de Dostoïevski. Ce spectacle répond à Nuits blanches, crée en 2012, où Thomas jouait et Aurélie mettait en scène.

Théâtre Oracle s’entretient ici avec Thomas Visonneau, quelques jours après leur arrivée en Avignon. 

 

PREMIERS CHOIX
Le plateau est roi 

Pourquoi avoir choisi un texte littéraire plutôt que dramatique pour votre première création ? 

   La première idée était de proposer des récits que les gens ne connaissent pas.

   La deuxième raison de ce choix est que quand je lis du théâtre, je m’ennuie souvent ! Et à ce moment-là, j’étais plus excité d’imaginer ce que je pouvais faire avec un roman.

Et au plateau, qu’est-ce qui change entre ces deux écritures ?

   Dans une pièce, le théâtre ne nait pas sans conflit. Dans Dostoïevski, il n’y a pas de conflit, c’est du ressassement. Ce qui est intéressant c’est de comprendre ce qui va créer le conflit dans le texte littéraire, alors qu’en théâtre le conflit est déjà écrit. J’ai aimé pouvoir naviguer dans une matière. Bientôt, je monte Bérénice de Racine, et là le rapport sera différent.

Quel est le lien entre tes propositions : Dostoïevski, Racine et Training (prochain spectacle sur le sport) ?

   En fait il n’y en a pas. Je n’ai pas de « case ». Ce qui m’intéresse c’est « comment rencontrer les êtres humains ». C’est le plateau qui est le roi. Ce n’est pas la matière. Mais avec Bérénice je ne pourrai pas faire le malin. C’est de la tragédie, c’est de l’émotion pure, tu ne peux pas tricher avec cette matière - texte.

 

LA MISE EN SCÈNE
C’est tenir un cap et faire en sorte qu’il se passe quelque chose le jour J 

Tu jouais dans  Nuits Blanches  et tu mets en scène Le temps des contes est révolu. Que préfères-tu, jouer ou mettre en scène ?

   Ce sont vraiment des choses très différentes. Le metteur en scène, il est là pour maintenir un cap et tenir bon face à tout ce qui l’assaille. Car tout l’assaille : l’acteur qui a des problèmes existentiels, le régisseur lumière qui impose une implantation, le producteur qui veut te mettre dans un case. Et moi j’aime bien ça, tenir le cap. Alors que le travail d’acteur, c’est un travail d’amour. Moi, je remets trop en question lorsque je suis acteur.

Et comment entres-tu dans ce changement de rapport au plateau (du jeu à la mise en scène), car tu viens de passer plusieurs années à exclusivement jouer ?

   Ça s’est fait naturellement, progressivement. Pendant l’école, j’ai beaucoup observé. Je me préparais à comprendre comment ça marche. Gérer un technicien, un emploi du temps. Etre prêt au jour J. C’est ça en fait mon travail. Qu’il se passe quelque chose le jour J.

Quels sont tes « metteurs en scène de chevet » ?

   J’ai beaucoup  observé Anton Kouznetsov (professeur à l’Académie et metteur en scène). Mais en fait je suis plus dans un univers d’écrivains ou de cinéastes. Je ne suis pas à la pointe de ce qui se passe dans le théâtre. Je n’ai rien vu dans le « in » par exemple.

  En fait j’ai été marqué par l’expérience théâtrale plus que par des spectacles. C’est l’ambiance du plateau, des répétitions, des coulisses, des représentations qui m’ont donné envie de faire du théâtre. C’est ça qui me fait vibrer : le « tout est possible ».  Et tout remettre en jeu à chaque foi. 

 

LE PAS SUIVANT EN AVIGNON
Le Grenier à Sel, les gens connaissent ce lieu 

Comment vous êtes-vous retrouvés au Grenier à Sel ?

   Nous avons crée notre spectacle au Théâtre de La Passerelle à Limoges cette année. La Région est venue voir notre travail et ils nous ont incité à demander cette salle en Avignon. C’est la Région qui nous a soutenu pour venir.

Quel est l’accueil du public ?

   C’est assez tranché : certains détestent, d’autres adorent. Mais nous avons du monde, c’est encourageant. Nous tractons beaucoup, ça aide pour que les gens viennent ! Et il y a même un spectateur qui est venu m’aider à tracter car il avait aimé le spectacle ! Mais il y a tellement de monde qui tracte ici, c’est difficile de se démarquer.

Et à ton avis pourquoi les gens que tu tractes viennent ?

   Je pense que c’est l’auteur, et le label « Grenier à Sel », les gens connaissent ce lieu. Et puis comme  nous en parlons avec enthousiasme, c’est communicatif. Et puis aussi le fait que nous  venions de Limoges peut-être. Beaucoup de gens connaissent Michel Bruzat ici, donc le fait d’avoir crée le spectacle au Théâtre de La Passerelle nous aide.

Quels sont les enjeux pour vous ici à Avignon ?

Ils sont humains. Nous souhaitons que les pros et les gens du métier puissent venir voir notre travail !

 

Joué du 19 eu 27 juillet 2013, au Grenier à Sel
Festival Off d'Avignon.
Le Temps des contes est révolu.

Mise en scène : Thomas Visonneau 
Jeu : Aurélie Ruby
Lumière : Emilie Barrier 
Administration : Sébastien Ronsse

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
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