Articles

Méta - Jérôme Bel
11 oct. 2014

lune.jpg

Dans le cadre du Festival d'Automne 2014, Le Théâtre de la Commune à Aubervilliers programme une pièce de Jérôme Bel, créée en 1995. Le titre est Jérôme Bel. Jérôme Bel est donc un chorégraphe, une pièce, une réflexion sur l'art vivant. 

Jérôme Bel, le chorégraphe  

L'art est recherche ou ne l'est pas, dit-il. Jérôme Bel est un chorégraphe français travaillant internationalement. Il est danseur interprète jusqu'en 1994, date de sa première "pièce", qu'il nomme lui-même "chorégraphie d'objets" : Nom donné par l'auteur. Cette première pièce succède à beaucoup d'autres, une par an environ, depuis. 

Les questions qui mènent sa recherche sont tournées vers le "méta - plateau" : le plateau y est questionné sur ce qu'il est : sa forme, ses enjeux, son discours, son rapport au spectateur et à la représentation.

Au Festival d'Automne, cette année, il reprend une création de 1995, Jérôme Bel.  En sortant, du spectacle, au CDN d'Aubervilliers, je bavarde dans le métro avec une jeune spectatrice scandalisée. Elle me parle de ces choses qu'elle trouve scandaleuses. Ce n'est pas scandaleux que les corps soient nus, ce n'est pas scandaleux qu'ils urinent sur la scène, ce n'est pas scandaleux en somme qu'il ne se passe rien. Ce qui est scandaleux pour elle est que les danseurs ne fassent rien pour nous, public. En somme que les acteurs ne passent pas la rampe, qu'ils ne viennent pas nous chercher. Elle rajoute : Il y avait même cette femme allongée tout le long, dos à nous. Dos à nous ! C'est bien qu'ils nous méprisent ?!  Cette spectatrice est scandalisée que l'on méprise ses attentes du plateau.

Dans le programme, il est écrit :

Voilà le travail : défaire toute virtuosité technique, désarmer les codes qui régissent nos gestes, des plus infimes aux plus spectaculaires. Loin de la surenchère scénique et de son cortège d'images guerrières ou érotiques, c'est l'émotion d'un seul acte, simple et radical.

En un sens tout est dit. Puisque l'art est recherche ou ne l'est pas, il y est encore question de trouver un nouveau monde. Voilà ce que nous dit le Caligula de Camus :

Ce monde, tel qu'il est fait, n'est pas supportable. J'ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l'immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde.


Jérôme Bel, la pièce 


La pièce Jérôme Bel est un acte d'essence, où il est question de chercher un degré zéro. Qu'est-ce que la représentation ? Qu'est-ce que l'espace du théâtre ? Cela passe précisément par les degrés zéro de :

La lumière.
La musique.
Le corps.
L'acte.
Le metteur en scène.

Quel serait donc le "degré zéro" de ces composantes du théâtre ? - en effet il n'y a pas "le texte" dans ces composantes, car finalement, l'acte scénique s'accommode très bien de cette absence, sans pour autant trahir ni le théâtre, ni sa forme. S'il est une réponse possible au degré zéro de la représentation, Jérôme Bel y répond ainsi :

La lumière, c'est Thomas Edison, l'inventeur de l'ampoule à la fin du XIXème siècle. Donc la lumière de Jérôme Bel, c'est une ampoule nue. L'actrice qui porte l'ampoule ne fait que cela.

La musique, c'est Johann Sébastien Bach. Sans enceinte, sans enregistrement. C'est donc un acteur qui chantonne le répertoire de Bach. Suites, Clavecin bien tempéré, Ode à la joie.

Le corps, il y en a 4, puis 5. Ils sont nus et normaux. Pas de corps surentraîné, ni spectaculaire.

L'acte, c'est chacun le sien. Un par personne : porter la lumière, chantonner Bach, appréhender son corps et celui de l'autre.

Le metteur en scène, c'est Jérôme Bel, c'est le titre de la pièce.

Le degré zéro pourrait être une arme contre la construction superficielle d'une réalité unique. Il n'y a personne à convaincre sur ce qu'est le théâtre, mais il est à se convaincre que le théâtre n'a pas de réponse. Et que sa forme la plus profonde est celle à inventer, celle qui n'est pas définitive. Au sens le plus strict de définitif, à savoir : qui annonce la fin d'un mouvement. En 2000, le chorégraphe Tino Seghal crée la pièce (sans titre) (2000). Elle a pour objet d'exposer théâtralement la pratique de la danse du 20e siècle, en transposant les pratiques des danseurs et les visions du corps qui y sont associées, successivement. Cette pièce a été réinterprétée en 2013 par Boris Charmatz (entre autres). De manière générale, c'est une chose réjouissante d'observer les artistes dialoguer entre eux à travers leur travail, indépendement de leur état (mort ou vivant), indépendemment de leur proximité physique. D'où je suis, Tino Seghal, Jérôme Bel et Boris Charmatz m'ont fabriquée un espace mental dans lequel l'histoire du corps en scène, de la nudité, du mouvement minimal sont explorés.


Jérôme Bel , le spectateur
  

Jérôme Bel est lui-même un spectateur assidu dit-il dans ses entretiens. Et lorsqu'il crée au Festival d'Avignon 2013 Cours d'honneur, il pose encore une question directe à la représentation, avec tout ce que cela engage : le spectateur, la réception, le Réel, la création de sa propre mémoire. Pour ce spectacle, des spectateurs - acteurs non professionnels (choisis, et ayant répété en amont), se succèdent sur scène et "racontent" leur expérience de spectateur vécue dans la Cours d'Honneur du Palais des Papes, pendant le Festival d'Avignon, toutes les années confondues.

Jérôme Bel explique souvent que le spectateur doit être partie prenante de la représentation. Au même titre que le l'acteur et le metteur en scène. Ecouter Jérôme Bel parler de son travail peut est un exercice d'abstraction, certes. Et pourtant il explique lui-même que le théâtre ne peut être entièrement un art conceptuel. En effet, regarder son travail est très simple. En général, un seul acte, est développé dans toute la pièce, et donné dans le titre. Aucun détour.

Il n'y a finalement rien à "comprendre". Dans un entretien filmé, mené par Yvane Chapuis, et à propos de The show must go on, spectacle de 2001, il explique qu'il compte sur le spectateur pour faire exister la pièce. Il souhaite : ne pas en savoir plus que le spectateur. Il souhaite encore : décrire le processus mystérieux de la représentation, et produire une réflexion sur les actions qui semblent les plus banales. 

Vous êtes partant ?

Jérôme Bel (1995)

Concept : Jérôme Bel
Avec : Éric Affergan, Claire Haenni, Patrick Harlay, Gisèle Pelozuelo, Frédéric Seguette

Production  : 
R.B. Jérôme Bel (Paris).
Remerciements DCA et la Ménagerie de Verre.
Avec le soutien de la Fondation d'entreprise Hermès.
R.B. reçoit le soutien de la DRAC Ile-de-France en tant que compagnie chorégraphique conventionnée, et de l'Institut Français, Ministère des Affaires Étrangères pour ses tournées à l'étranger.
Spectacle crée le 1er septembre 1995 au Festival Bellone - Brigittines (Bruxelles).

Posté par: Louise Narat-Linol
Catégorie : Rédaction





comments powered by Disqus