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De retour d'Avignon - Introduction
24 juil. 2014

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INTRODUCTION

De retour du festival d'Avignon, 68ème édition, dont la direction a été reprise par Olivier Py, je revois mes notes, retranscrit mes interviews et je décide de n'écrire que sur le travail de Marie-José Malis. Elle a présenté un spectacle de 5h, Hypérion, d'après un texte d' Hölderlin.

Si la critique doit être le témoin d'un acte artistique, je choisis qu'elle le soit pour ma propre pratique, que ma façon de faire de la critique soit une nécessité pour ma propre réflexion. Je n'écrirai donc pas sur Mahabharata, ni sur Archive, ni sur Huis, ni sur The Fontainhead, ni sur Ideal Club (programmé à Villeneuve-en-scène). Sans doute car je suis partie avant la fin de la plupart de ces spectacles, mais surtout car, aujourd'hui, ils ne révolutionnent rien en moi. Qui sait, peut-être plus tard.

Ajourd'hui, il m'est précieux de trouver des spectacles, poètes, metteur en scène, chorégraphes qui ont opéré une révolution en moi. De manière non exhaustive : Angelica Liddell en fait partie, Walt Whitman, Marie-José Malis, Claude Régy, Howard Barker, Walter Benjamin, Jérôme Bel, François Tanguy, Pasolini, Philippe Grandrieux, Jean-Luc Godard, Bruno Dumont, Maguy Marin. C'est donc ce que je vais chercher. Je ne demande à personne d'aimer ce que j'aime, je propose de dire ce dont j'ai besoin pour que de l'air entre dans ma pièce. J'ai besoin de cet Hypérion pour continuer à aimer le théâtre,  et pour continuer à aimer ce que le théâtre peut faire sur le monde. 

Je vais essayer d'expliquer pourquoi, dans ma prochaine critique du spectacle. Je vais également retranscrire des entretiens auxquels Marie-José Malis a répondu, pour la laisser parler elle-même de son travail, cela est joyeux. 


DEUX MISES EN BOUCHE

Pour entrer de manière globale dans cette période post-Avignon :

1. Voilà un extrait d'une conversation épistolaire que j'ai eue avec un ami. Il m'a soutenu qu'Hypérion de Marie-José Malis, nécessitait des "codes" pour être entendu. Je crois que c'est l'inverse. Je lui ai répondu :

Ce que je vais chercher dans l'art, la poésie, le cinéma, le théâtre, c'est ce qui m'échappe, un espace invisible où des égarés se retrouvent, car ils ne se retrouvent pas dans la certitude, la platitude, la simplification démagogique de l'existence, que l'on nous sert tous les jours.

Cet ami m'a ensuite parlé du théâtre qu'il aime, d'un théâtre violent et choquant, l'inverse, d'après lui, d'Hypérion. Je lui réponds :

(...) Et lorsque tu dis que le théâtre que tu aimes "choque le bourgeois", parles-tu, entre autres, d'"Ideal club" ou de "The Fontainhead" ? Si c'est le cas, je ne crois pas du tout que ces spectacles choquent qui que ce soit. Bien au contraire, ces formes confortent bien tout le monde, dans la certitude que la pensée ne sert à rien, que ce qui se voit facilement est une vérité, et que, finalement, la recherche et l'art sont embarrassants, car "non efficaces". Je hais l'efficacité, elle me tue. Une balle de fusil est efficace, une slogan publicitaire est efficace, un produit d'entretien est efficace. Pas l'art. "Hypérion" est de l'art. "Hypérion" choque le monde.


2. Et en faisant le tri de mes dernières lectures, et pour m'accompagner dans ma critique, je retrouve ces quelques phrases de Howard Barker, dans Arguments pour un théâtre : 

Comme il est difficile de rester assis dans un théâtre silencieux. Mais il y a silence et silence. Comme dans la couleur noire, il y a plusieurs couleurs dans le silence. Et c'est le silence compulsif que le théâtre peut accomplir de mieux.

Le théâtre doit commencer à prendre son public au sérieux. Il doit arrêter de lui raconter des histoires qu'il peut comprendre.

Ce n'est pas insulter un public que de lui offrir de l'ambiguité.

La forme narrative se meurt entre nos mains.

Nous devons dépasser ce besoin de faire des choses à l'unisson. Psalmodier ensemble, fredonner ensemble de banales mélodies, ce n'est pas la collectivité. Un carnaval n'est pas une révolution. Après le carnaval, une fois les masques tombés, on est exactement comme avant. Après la tragédie, on ne sait plus qui on est. La tragédie rend la poésie à la parole. Dans la tragédie, le public est désuni. Chaque spectateur est seul sur son siège. Il souffre seul. Contre ce saupoudrage sans fin de faux sentiment collectif, la tragédie rend la douleur à l'individu. On ressort de la tragédie armé contre le mensonge. Au sortir de la comédie musicale, on se fait berner par le premier venu. La tragédie agresse les sensibilités. Elle traîne l'inconscient sur la place publique. Elle fait donc se taire ce tambourinage de la culture autoritaire socialiste.  

Le public désire toujours en savoir plus ou en supporter plus que ce que le théâtre veut bien lui confier. Le public a été traité comme un enfant. On l'a guidé vers le sens comme si la vérité était un panier-repas. Le théâtre n'est pas un disséminateur de vérités, mais un fournisseur de versions multiples. Ses affirmations sont provisoires. A une époque où rien n'est clair, infliger la clarté est d'une arrogance dépassée.

Le nouveau théâtre n'aura pas honte de sa complexité ou de son manque d'idéologie. Il ne se sentira aucune obligation envers le vécu ou envers la pulsion journalistique qui consiste à révéler le contexte social. Il ne sera pas du tout concerné par le contexte. Un théâtre de contexte est un théâtre profondément réactionnaire, de la même manière qu'un théâtre démesurément idéologique est réactionnaire. Le nouveau théâtre ne forcera personne à être libre. Plutôt, il invitera à réfléchir sur ce qu'est la liberté.

Posté par: Louise Narat-Linol
Catégorie : Forme libre Avignon





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