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Nous parlons d'Hölderlin / Marie-José Malis
25 sept. 2014

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Extrait d'entretien avec Marie-José Malis, mené par Laure Adler.
Le 10 juillet 2014, dans le cadre des Leçons d'Université du Festival d'Avignon 2014.
Retranscription et mise en forme : Louise Narat-Linol.

À propos d'Hypérion, création au Festival d'Avignon 2014.
Reprise : du 26 septembre au 16 octobre 2014, au Théâtre de la Commune, CDN d'Aubervillers.

Hypérion est un texte de Friedrich Hölderlin, poète romantique allemand du début du XIXème. La forme de l'écriture est épistolaire. La proposition de Marie-José Malis, création 2014, livre la pensée de Friedrich Hölderlin au spectateur, comme un cri à notre siècle, comme un appel contre ce monde-ci, comme un appel pour du possible proche.

Dans cet entretien, Marie-José Malis nous parle de révolution, d'infini, de nouvelles façons d'aimer le monde, et de Mao. Elle rapporte des  paroles d'Hölderlin, en invente d'autres. Et lorsqu'elle parle, il parle. Nous parlons.

LAURE ADLER : Pourquoi ce choix du texte d'Hypérion

MALIS - Une nouvelle ère du monde commence.

Hölderlin c'est tout en fait. C'est le poète de la modernité, c'est celui qui inaugure la poésie. Pourquoi il l'inaugure ? Car il se rend compte qu'avec la Révolution Française (nldr - Hölderlin écrit Hypérion en 1795) et la bourgeoisie qui arrive au pouvoir, une nouvelle ère du monde commence. Ce monde est une monde sans Dieu. Le divin classique y est évacué. C'est une tâche de la politique que la Révolution Française a inaugurée. Comment à la fois vivre dans un monde purement matérialiste, sans Dieu, tout en restant fidèle à l'idée du bien, du bonheur et de l'absolu pour tous ?

HÖLDERLIN - Nous, poètes.

Hölderlin dit. Nous, les poètes, avons toujours cherché à chanter vers le ciel. C'est cet amour que nous avons mis vers le ciel, vers des idéaux extérieurs à nous. Et nous devons plier ces idéaux vers un amour de la terre et de la finitude. Nous n'avons plus de Dieu, mais si nous nous mettons à aimer notre condition humaine, la terre, et notre finitude, avec la meme intensité que nous avons aimé Dieu, alors nous ne subirons pas notre finitude, nous ne serons pas les prisonniers du matérialisme, nous ne serons pas les esclaves d'un monde sans esprit.

MALIS - Contribuer au bonheur pour tous.

Nous espérons toujours que le salut viendra de quelques puissances extérieures. En un sens nous n'avons pas renoncé au miraculeux. Donc moi j'ai choisi Hölderlin car la question qui se pose à Hypérion est celle-ci :  comment rester fidèle à l'idée de la revolution, tout en dressant le bilan le plus strict de cet echec de la tentative de politique d'émancipation (Révolution Française) ? Comment continuer à être fidèle à l'idée d'un processus dans lequel chacun pourra contribuer au bonheur de tous ?

HÖLDERLIN - La beauté ou l'infini déposé en dehors de l'Histoire.

Il faut regarder ce que nous vivons, et il faut séparer ce qui est de l'Histoire des Hommes, de ce qui est hors de l'Histoire des Hommes. Y a-t-il des choses hors de l'Histoire ? Oui. La nature et la terre ont une beauté en réserve. Cette beauté échappe à l'Histoire des Hommes. Comme dans dans l'histoire des individus finalement , il y a quelque chose qui échappe à l'Histoire : l'enfance. Il ya ce temps de l'enfance dans lequel nous somme tous en capacité d'éprouver une confiance infinie dans l'humanité. Nous ne doutons pas de notre force ni de notre beauté, nous ne doutons pas que nous sommes divins. La beauté est de l'infnifni déposé en dehors de l'Histoire.

MALIS - L'absolu existe.

Dans ce temps-ci, que nous dit-on ? Que l'homme n'est pas capable d'absolu. Et que l'absolu est totalement retiré du monde. Hölderlin dit au contraire que l'absolu existe. Que la beauté divine de l'homme existe, et que l'homme a une capacité infinie. La Révolution Française a échoué sans doute parce que les coeurs n'étaient pas prets à en accueillir profondément les plans de conséquence. Ni prêts à accueillir un bonheur pour tous.

HÖLDERLIN - Aimer la pauvreté.

Maintenant, il faut que le processus révolutionnaire s'accompagne d'un processus symbolique. Ce sont les poètes qui doivent faire cela, c'est-à-dire nous aider à aimer le monde autrement, nous aider à aimer dans ce monde-ci ce que nous redoutons. Nous redoutons la pauvreté, donc nous aider à aimer la pauvreté, à aimer la frugalité, à avoir le souci des plus petits d'entre nous, et à ne pas avoir peur de perdre des choses quand le bien des autres est en jeu. 

MALIS - La révolution symbolique.

La question est d'apprendre à aimer le monde autrement, de sorte que la revolution politique puisse s'installer profondément et durablement. Que cette révolution ne soit pas seulement une réveolution faite par les lois et par l'état, mais qu'elle soit portée dans le coeur des gens. C'est une révolution symbolique, ce n'est pas seulement une revolution des idéaux. C'est aimer danss le monde des qualités sensibles, qui pour l'instant ne sont pas encore visibles. Aimer les qualités minoritaires du monde.

Nous devons continuer à fabriquer des idées, et continuer à fabriquer pour les générations à venir l'idée que ce qui nous attend, c'est un processus du bonheur de tous. Sinon je ne vois pas pourquoi on devrait vivre et continuer à faire des enfants. Je pense que l'effort intellectuel extraordinaire d'Hölderlin est une chose dont on a besoin. 


MAO - Nouveaux objectifs.

Toute l'énergie de l'humanité pourrait être la même, mais tournée vers de nouveaux objectifs. Que ces nouveaux objectifs ne soient pas seulement la production d'objets consommables. Mais qu'ils soient tournés vers le désir de nous conduire à aimer de nouveaux objets, et de nouvelles productions.

Hypérion, d'après Friedrich Hölderlin
Durée : 3h45
Traduction : Philippe Jaccottet

Créé au Festival d'Avignon, du 8 au 16 juillet 2014
En tournée : 
- du 26 septembre au 16 octobre 2014, au Théâtre de la Commune, CDN d'Aubervillers ;
- les 6 et 7 novembre, aux Quinconces-L'espal, Scène conventionnée, Théâtres du Mans ;
- les 15 et 16 décembre, au théâtre de l'Archipel, Scène Nationale de Perpignan ;
- du 10 au 21 janvier 2015, au Théâtre National de Strasbourg ;
- du 27 au 31 janvier au Théâtre Dijon de Bourgogne, CDN.

Mise en scène : Marie-José Malis
Adaptation : Marie-José Malis et Judith Balso
Scénographie : Adrien Marés, Jessy Ducatillon, Jean-Antoine Telasco
Lumière : Jessy Ducatillon
Son : Patrick Jammes
Costumes : Zig et Zag
Avec : Pascal Batigne, Frode Bjørnstad, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Isabel Oed, Victor Ponomarev
Et les comédielles amateures : Adina Alexandru, Lili Dupuis, Maxime Chazalet.

Production : Théâtre de la Commune Centre Dramatique National d'Aubervilliers
Coproduction : Compagnie La Llevantina, Comédie de Genève, L'Archipel Scène nationale de Perpignan, CCAS, Festival d'Avignon
Avec le soutien de : la Région Île-de-France

Posté par: Louise Narat-Linol
Catégorie : Interview Forme libre





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