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"Le bruit du monde" de Claude Régy / Laure Adler
30 nov. 2013

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Petite leçon sur le théâtre par Claude Régy.

"Le bruit du monde"
Le sens, le silence, la folie 
Rencontre publique entre Claude Régy, metteur en scène et Laure Adler, journaliste.
Retranscription et mise forme : Louise Narat-Linol.


Université d'Avignon, juillet 2013.
Dans le cadre du 67e Festival d'Avignon.

LE SENS                                                                                                                                        
Qu'est-ce que la « mise en scène » pour toi ?

"L'écriture doit être libre de son sens"

C'est un terme qui ne me convient pas du tout. Ce que j'essaie de faire, c'est de donner la priorité au texte et à l'écriture comme élément dramatique. J'ai quasiment supprimé de la scène la notion de costume, de décor et de mise en scène. Mon vœu est de mettre l'écriture au centre du théâtre. Henri Meschonnic dit que le langage possède de manière secrète, et presque invisible, une théâtralité. Il parle d'une « théâtralité inhérente au langage ». Peter Handke dit aussi cela : que l'écriture n'est pas obligée de délivrer un message, et qu'elle doit avant toute chose être libre. Cela va contre la toute puissance qu'exerçait Brecht à cette époque avec le théâtre politique à message.

"Le sens nouveau est toujours en train de se faire"

Je m'attache à dépasser la question du sens. Ce que l'humain comprend est très limité, beaucoup de philosophes l'ont dit. Il faut chercher à exprimer l'inexprimable, et là on a une chance de toucher ce qu'on peut appeler la beauté. Ce n'est pas perceptible par nos sens : il s'agit de suggérer par des voix secrètes des moteurs de l'imagination qui permettent de comprendre ce que l'on ne comprend pas. Quand il y a absence de sens, il y a le début de la création d'un sens nouveau qui est en train de se faire. Il ne faut pas du tout avoir peur de ce qu'on croit ne pas comprendre. Ce sont les leçons des auteurs que j'ai rencontrés. Tout ce que j'ai fait dans ce métier vient de ma rencontre avec des écrivains.

"Donner naissance à une étoile dansante"

Nietzsche dit : "Faut-il encore avoir le chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante ?" Cette image de "l'étoile dansante", ça fait partie de ce que je disais sur l'absence de sens. Ici, ce n'est pas clair, qu'est-ce que c'est une "étoile dansante". Je veux dire qu'il n'y a pas d'étanchéité entre la philosophie, la science et la poésie. Je suis toujours frappé de voir que les physiciens cantiques citent sans arrêt des extraits de poèmes. Donc l'image de "l'étoile dansante" c'est poétique, mais elle vient du chaos. C'est la nécessité de rejoindre le chaos et de ne pas rester dans la clarté. Une des conséquences de la clarté c'est la rentabilité. On voit très bien comment faire le procès de régimes politiques à partir de cette pensée sur la littérature.



LE SILENCE                                                                                                                         
"Trois espèces de silence"

Ce que je sais c'est que le silence est très important. C'est le complément de l'écriture. Le silence est créateur. Mais la pratique du silence se perd beaucoup dans cette civilisation bruyante dans laquelle les moteurs nous font vivre. Le silence est tout à fait important. Le silence est de plusieurs espèces : - le silence d'avant de parler, celui qui modifie la prise de parole. - de même que le silence qui suit la fin d'une phrase, c'est une caisse de résonnance. - il y en un troisième qui est plus subtil, c'est d'arriver à parler sans oblitérer le silence.

"Deux amants qui ne se sont jamais tus ensemble ne se connaissent pas".

Comment faire le bruit des mots en faisant aussi entendre le silence ? Ce phrasé-là, c'est un travail à faire avec les acteurs qui en général ne l'apprennent pas dans les écoles ! Cela rapproche le langage de la musique. La musique fait entendre le silence. Le silence avant, pendant et après le texte rapproche du langage de la musique. Car on ne sait pas ce qui nous touche dans la musique, on ne sait pas où elle nous emmène. Comment par le langage, on peut atteindre les gens dans une région d'eux-même qui n'est pas repérée ? Cette utilisation du silence est très importante. Et j'ai risqué, dans les deux derniers spectacles, de demander au personnel de salle de dire au public d'entrer en silence et de conserver le silence jusqu’au début du spectacle. Et les spectateurs ont été très fidèles. S'il ya un silence dans le salle avant le spectacle, chacun est plus disposé à entendre autre chose que le sens premier des mots. Materlinck disait que "deux amants qui ne se sont jamais tus ensemble ne se connaissent pas".

"La lumière en moins, l'imaginaire en plus"

Il y a un grand rapport entre l'ombre et le silence. Si on éclaire moins l'acteur, il y a beaucoup plus de liberté à l'imaginaire du spectateur pour découvrir des territoires insoupçonnés, par moi en tous cas.



LA FOLIE                                                                                                                             
Dans tes thématiques, il y a la récurrence de la mort et de la folie, pourquoi ? 

"L'insanité chronique des saints d'esprit"

Car les gens raisonnables m'ennuient terriblement ! Je ne vois pas pourquoi je les fréquenterais, ils n'apportent rien car ils restent dans les clôtures de la raison. Donc il n'y a plus de risque, plus de recherche, il n'y a plus rien. La folie et la mort sont présentes dans tous les textes que j'ai travaillés. Ce sont deux choses concomitantes. La folie fait déchanter la raison et la mort, fait déchanter la vie. Et cela est nécessaire. On voue un culte excessif à la raison et à la soi-disant "santé mentale". Sarah Kane parlait de "l'insanité chronique des saints d'esprit". Et Jean Oury, psychiatre "anti-psychiatre" a inventé le terme de "normopathe". La division entre la folie et la normalité est un grand mensonge. C'est un crime contre l'humanité. Cette opposition est une voie appauvrissante. Je ne crois pas qu'il faille apaiser la peur de la mort, la vie sans la mort n'a aucun sens. Opposer le bonheur au malheur...séparer la vie de la mort, c'est ce que fait l'économie. Nous sommes gouvernés par des économistes. Nous sommes alors prisonniers de ces fausses valeurs qui sont en permanence répétées.

Une dernière question, peut-être : que fais-tu quand tu ne fais pas de théâtre ?

Je rêve.

 

Traquez Claude Régy et Laure Adler sur le net : "La terrible voix de Satan"

La Barque le soir
Durée : 1h30

Adaptation du texte de Claude Régy
Du texte "Voguer parmi les miroirs",
Extrait du roman, de Tarjei Vesaas "La barque le soir",
Traduit du norvégien par Régis Boyer
Joué au Festival d'automne, au 104, du 24 octobre au 24 novembre 2013

Mise en scène : Claude Régy
Assistanat : Alexandre Barry
Scénographie : Sallahdyn Khatir
Lumière : Rémi Godfroy
Son : Philippe Cachia Avec : Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian
Création : les Ateliers contemporains (compagnie subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication – direction générale de la création artistique.)
Coproduction : Odéon-Théâtre de l'Europe (Paris) / CDN Orléans-Loiret-Centre / Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées et Théâtre Garonne / Comédie de Reims / Festival d'Automne à Paris 

Posté par: Louise Narat-Linol
Catégorie : Interview Avignon





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