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Tout le ciel d'Angelica versus moi
22 nov. 2013

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Tout le ciel au-dessus de la terre, le syndrome de Wendy 
texte, jeu et mise en scène d'Angélica Liddell
Dans le cadre du Festival d'Avignon dans la cour du Lycée Saint Joseph du 6 au 11 Juillet 2013.
Au Théâtre de l'Odéon dans le cadre du Festival d'Automne, du 20 novembre au 1 décembre 2013.
Au Parvis Scène Nationale de Tarbes le 6 et 7 décembre 2013.

   Le samedi 6 Juillet Angélica Liddell présentait pour la première fois en France son nouveau spectacle
Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy), au Festival d'Avignon. Depuis qu'elle a joué en France Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme : un projet d'alphabétisation..., je ne rate pas un seul de ses spectacles, allant parfois jusqu'à faire des kilomètres pour retrouver l'artiste et sa troupe Atra Bilis Teatro.  

 

PETER PAN versus WENDY 

    Sur scène il y a un petit tas de terre et des crocodiles suspendus en l'air.

   L'histoire nous raconte les aventures de Wendy en trois parties. Au début du spectacle, Wendy se trouve sur l'île d'Utoya et elle assiste au massacre perpétré par Anders Behring Breivik, le militant d'extrême droite qui a assassiné 69 militants du parti socialiste en Suède. Sur l'île, elle rencontre Peter Pan, qui lui permet de s'envoler vers une autre île, l'île de Shanghai, où elle est heureuse, car là-bas :

   "Je suis soulagée d'être une étrangère qui se promène seule [...] ta ville est pleine de gens usés. Tu les connais trop bien, ils ont dévoilé leur saleté intérieure."

   Shanghai évoque le pays imaginaire de l'œuvre de J.M Barrie. Dans ce pays imaginaire Wendy invite deux danseurs chinois amateurs de valse, et un orchestre coréen pour offrir au public cinq valses dansées, d'abord par eux seuls puis rejoints par la bande des enfants perdus. Puis, les enfants perdus abandonnent Wendy seule sur scène, où elle dit un long monologue, où elle crie sa haine des mères et de leurs nouveaux nés qu'elle appelle "supplément de dignité", et sa haine des milieux militants et associatifs. Wendy nous raconte sa haine du monde et son bonheur d'être individualiste. Elle nous raconte les plaisirs sexuels qu'elle se donne le soir en tchatant sur internet avec des inconnus pervers sexuels, elle se masturbe aussi dans les toilettes d'un supermarché lorsqu'elle sort d'un hôpital. Puis Wendy, dans une courte conclusion du spectacle retourne sur Utoya, où elle va voir le fantôme d'un militant socialiste assassiné par Anders Behring Breivik.

   Avant de répéter sa mort sous ses yeux, le fantôme dit en français dans le texte :

   "Tu as l'âge de tous les âges. L'âge où tu peux coucher avec tes propres enfants. Pourquoi voudrais-je suivre quelqu'un qui n'est pas comme toi ? En plus je vais te traiter comme si tu avais 15 ans. Et toi tu me traîteras comme si j'étais vieux. Toi, comme si tu avais 15 ans, et moi, comme si j'en avais 50. J'ai vécu tant de choses que je suis devenu vieux. Toi, tu n'as pas encore vécu. Parce que la vie nous a conduits jusqu'à ces extrêmes, dans le fond, c'est moi qui veux coucher avec ma propre fille, c'est-à-dire toi." 

   Au début du spectacle Wendy est seule sur scène et se masturbe à coté de Peter Pan. Ce geste raconte à la fosi le plaisir sexuel de Wendy, et montre aussi comment le plaisir individuel peut rejoindre un geste chorégraphique. Puis, un poème de William Wordsworth résonne et ses camarades de scène qui jouent les enfants perdus la rejoignent. Ils vont vivre des moments d'éducation, puis l'horreur avant que Wendy s'envole accompagnée de Peter Pan à Shanghai. Dans son spectacle Angélica Liddell met trois références principales : 

- un film d'Elia Kazan, Splendor in the grass (La fièvre dans le sang), titre extrai du poème de William Wordsworth avec Nathalie Wood et Warren Beatty,
- la chanson rock reprise par the Animals Rising Sun et enfin
- l'œuvre de J.M Barrie Peter Pan dont le spectacle est une adaptation contemporaine.

    Souvent je me sens mal à l'aise par rapport aux militants politiques et associatifs, par rapport à leurs contradictions - et aussi un peu par jalousie. Je me demande toujours par exemple pourquoi Greenpeace ou Action contre la faim paye des gens pour aborder les passants dans la rue pour qu'ils financent leurs associations par prélèvements automatiques. Alors que, si ces associations n'avaient pas des campagnes de publicité aussi lourdes, elles pourraient mettre leur argent dans du concret. Je trouve toujours bizarre les écologistes ou les gauchistes qui fument, et qui boivent de l'alcool, et qui font marcher ces industries tout en t'expliquant ce que tu dois faire ou pas. Et qui, souvent au passage, disent que l'art est élitiste. Angélica Liddell leur dit :

   "Les junkies sont ennuyeux. Les ivrognes sont ennuyeux. Très très très ennuyeux. J'en ai marre de voir les gens ivres, bourrés. J'adorerais voir en face de moi quelqu'un en train de boire un verre d'eau. L'air sérieux. Silencieux. Par exemple, un nageur(...) Tous ces gens qui aident ceux qui ont des problèmes ne me plaisent pas. Les professionnels de la pitié, les médecins, les psychiatres, les psychologues, les assistantes sociales, les coopérants, les ONG, les activistes, ces putains de volontaires ne me plaisent pas."

   Angélica Liddell se venge pour moi de toutes les fois où je me suis retrouvé mal à l'aise face aux contradictions des militants, des autonomes, des squatteurs, des artistes qui me faisaient la morale tout en se bourrant la gueule. Ce qu'elle dit par ces mots, je l'ai ressenti plusieurs fois au fond de moi, et je n'ai pu l'exprimer que par la colère ou des pleurs. Je suis heureux qu'une dramaturge et metteuse en scène l'exprime de manière aussi forte par des mots ou des gestes que je ne sais pas exprimer. Et heureux qu'elle ait écrit un texte où je peux me réfugier et me blottir face à des situations similaires.

   Quand je regarde ce spectacle, j'ai l'impression qu'Angélica Liddlell envoie de la poudre pour qu'on s'envole au pays imaginaire avec elle.

   Elle envoie tellement de poudre que le lendemain, j'ai encore envie de le revoir et je vais racheter une place pour la représentation du mardi. Et j'ai envie de revoir et de relire sans cesse cette pièce qui m'habite.

   

THÉÂTRE versus RÉALITÉ

   L'après-midi même, avec des amis qui évoluent dans le milieu associatif, nous avons discuté des contradictions de ce milieu. 

      Nous avons aussi discuté du fait d'avoir des enfants et de s'engager pendant 26 ans auprès d'eux. Nous avons aussi discuté des relations avec ces amis et de ce qu'il vallait mieux favoriser : ses passions personnelles ou l'amitié. Car, le soir de la représentation, j'ai dû choisir entre me rendre aux trente ans d'une amie ou aller au théâtre voir Tout le ciel au-dessus de la terre. J'ai choisi le théâtre plutôt que mes amies. Quatre heures plus tard, sur le plateau de la cour du lycée Saint Joseph, Angélica Liddell déblatérait sur ces sujet-là et son ultra individualisme me donnait raison

   Deux mois après la représentation, j'ai appris qu'un de mes amours de jeunesse était enceinte. Cela m'a mis en colère. Par jalousie. Car cette fille, militante associative indépendante, qui avait de grands discours sur la dépendance au sein du couple rentrait dans le moule de la société avant moi. Parce qu'elle donnait naissance à son « supplément de dignité », alors qu'à l'époque où nous étions ensemble, elle ne savait pas ce qu'elle voulait mais affirmait qu'elle aurait un enfant jeune. Et bien, quand j'ai appris cet heureux événement, je me suis encore une fois réfugié dans le monologue de Wendy. Pour me défouler, mais aussi parce que la haine d' Angélica Liddell sur les mères me semble juste.

   Une amie à moi, agricultrice en biodynamie très militante, vient de se faire lâcher en même temps par son associée et son copain. Son copain à rencontré une autre fille qui deux semaines plus tard était enceinte et attendait sont "supplément de dignité". Je vais offrir le texte de Tout le ciel au-dessus de la terre à mon amie, afin qu'elle se défoule contre les gens qui l'entourent. Je vais lui offrir le texte de Tout le ciel au-dessus de la terre pour qu'elle se réfugie aussi à l'intérieur, pour qu'elle se réconforte et se blottisse dedans.

   Peut-être que je fantasme ces ponts entre le réel et l'œuvre théâtrale, mais, si ces ponts sont des fantasmes, il y a une chose qui est bien réelle, c'est la manière dont le texte d'Angélica Liddell m'accompagne, et l'envie que j'ai de la faire lire au plus grand nombre depuis le soir où je l'ai vu et entendu.

   Ces trois exemples de la vie réelle qui font écho dans le texte écrit par Angélica Liddell montrent pourquoi ces textes sont essentiels malgré la haine apparente qui s'en dégage. A travers le personnage de Wendy, Angélica Liddell nous envoie un miroir dur, mais réel de notre monde. Wendy pointe nos contradictions dans notre vie quotidienne.

 

CONCLUSION

   Dans la bouche de n'importe qui d'autre je m'insurgerais contre les propos sur le milieu associatif qu'elle tient :

"L'arrogance des soi-disant humbles. L'arrogance des soi-disant généreux. Généreux avec un badge au revers de la veste, où l'on peut lire : « Je suis bon par nature. » « J'aime tout le monde ». « Je ne travaille pas pour l'argent.» « J'agis pour le bien d'autrui. » « Je nettoie les chiottes par amour.» Parfois, la bonté de l'amour me dégoûte. Ce sont les suppléments de dignité des mères et des bigotes."

   Sauf qu'Angélica Liddlell n'est pas n'importe qui : une personne qui habituellement tient ces propos ne se masturbe pas sur scène, n'écrit pas des pièces qui rejoignent la réalité aussi évidement, ne fait pas venir des danseurs de valse chinoise sur un plateau et les musiciens des musiques de film de Park Chang Woo, ne nous fait pas écouter à fond Risisng sun, n'a pas la vision artistique qu'Angélica Liddlell a quand Wendy dit :

"Quand je pense à la tuerie d' Utoya je ne pense ni à la douleur, ni à l'horreur. Quand je pense à la tuerie d' Utoya, je pense à tous ces jeunes gens que j'aurais aimés et qui ne m'auraient jamais aimée. J'imagine leurs sexes dans ma bouche. J'imagine leurs sexes dans ma bouche. J'imagine d'éternelles fellations."

Elle nous dit "à quoi bon avoir des enfants si c'est pour finir tué par un militant d'extrême droite?".

 Adrien Mariani

 


Todo el cielo e sobre la tierra. (El sindrome de Wendy) Edition Les solitaires intempestifs
Compagnie Atra Bilis Teatro

Spectacle créé au Festival d'Avignon 2013
Durée estimée : 2h30
Spectacle en espagnol, mandarin, shanghaïen et allemand surtitré en français

Texte et mise en scène : Angélica Liddell 
Avec : Wenjun Gao, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Xie Guinü, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Sindo Puche, Zhang Qiwen, Lennart Boyd Schürmann
Ensemble musical : Phace
Décors et costumes : Angélica Liddell
Musique : Cho Young Wuk
Assistants, orchestration et arrangements : Hong Dae Sung, Jung Hyung Soo, Sok Seung Hui
Préparation musicale : Lee Ji Yoen
Guitare : Lennart Boyd Schürmann
Lumière : Carlos Marquerie
Son : Antonio Navarro
Régie lumière : Octavio Gómez
Professeur danse de salon : Sergio Cardozo
Costumes ajustés : González
Masque chinois lion : Lidia G le petit paquebot
Interprète chinois/espagnol : Wenjun Gao, Saite Ye
Traduction : Christilla Vasserot
Directeur technique : Marc Bartoló
Régisseuse de scène : África Rodríguez
Production et logistique : Mamen Adeva
Assistante mise en scène : María José F. Aliste
Production exécutive : Gumersindo Puche

 

Posté par: Adrien Mariani
Catégorie : Rédaction Avignon





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