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"Le prince de Hombourg" : mettre en scène l'Histoire
09 mai 2009

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PENSER L'HISTOIRE

   Le Prince de Hombourg a été créé en 2009, mis en scène par Marie-José Malis et sa compagnie La Llevantina, en collaboration pour la dramaturgie avec Alain Badiou. Cette collaboration avec le philosophe abonde dans ce que Malis veut faire au théâtre : y « réinjecter de la pensée ». La pièce de Kleist est écrite en 1811 en Allemagne.

   En quoi est-il pertinent de monter ce texte aujourd'hui ? Il pose les questions de la discipline et de la désobéissance au pouvoir. Il remet en question la justice des lois qui doivent s'appliquer arbitrairement, et d'un autre côté, le besoin collectif de respecter et faire respecter des lois. La figure du pouvoir est représentée par l'électeur qui au cour de la pièce est tour à tour subi comme un despote ou comme victime de l'injustice qu'il se doit de faire appliquer. Son dilemme réside en ce choix : l'application d'une loi mal appropriée ou le détournement de cette loi qui la rendrait impuissante pour la suite. Le compromis est impossible. Cette pièce propose une réflexion sur la démocratie et les lois qu'elle érige. Marie-Josée Malis a choisi le théâtre pour proposer cette réflexion. Elle explique :

   « L'enjeu est de montrer que le théâtre est par excellence ce lieu où se recueillent les questions d'une époque. Qu'à travers les histoires qu'il nous raconte, ce que le théâtre met en scène, c'est l'aventure de nos pensées mêmes. Nous rêvons donc d'un théâtre où le public, le temps d'un soir, recevrait cette possibilité de se sentir partie prenante d'une collectivité qui vit et qui se penche sur ses questions, qui sont celles d'une civilisation au fond. » [1]

   Marie-José Malis choisit le théâtre comme lieu de réflexion directe sur la société contemporaine. Elle choisit de faire de l'histoire du Prince de Hombourg écrite en Allemagne au début du 19ème siècle une fiction définie dans un environnement référentiel de l'ordre du passé tout aussi bien qu'une réalité politique, miroir de notre société française contemporaine. Il s'agit pour le spectateur d'entendre l'histoire de ce prince les quatre premiers actes et de prendre le temps d'y songer lors du cinquième. Le cinquième acte est le moment de la représentation où les acteurs viennent dans le public, où des textes écrits par la compagnie tutoient le public pour les inviter à la question politique générale. La fiction du Prince de Hombourg est détournée pour faire parler les acteurs comme citoyens d'une démocratie qui questionnent d'autres citoyens. Cette démarche présente dans le texte de Kleist est accentuée par Marie-Josée Malis en rendant l'invitation à la réflexion sur la situation politique actuelle plus volontaire. La tentative est d'enrichir la pièce (Fiction, de l'ordre de l'Histoire, dans le Passé), de sa mise à l'épreuve d'un regard contemporain (Réalité, de l'ordre du Politique, dans le Présent).

   Je ne cherche pas à poser la question de ce que défend politiquement cette mise en scène, je ne discuterai pas les idéaux qu'elle propose. Je voudrais cependant comprendre comment ces réflexions en sont arrivées à admettre la nécessité du théâtre pour les poser. Pourquoi est-il plus pertinent de travailler sur une fiction allemande théâtrale du début du 19ème siècle pour mettre en jeu des réflexions orientée vers les problématiques politiques actuelles et françaises ? Quel serait le rôle de l'acte théâtral dans cette démarche ? Je tâcherai de déconstruire les mécanismes de cette pièce pour tenter de comprendre un théâtre où le public devrait se sentir « le temps d'un soir, partie prenante d'une collectivité » (dixit Malis).

LES CONSTELLATIONS

   Qu'y a -t-il de théâtral ? Un décor en carton pâte, représentant fidèlement une salle des fêtes municipale après une soirée. Poussière, cotillons au sol, chaises et tables entreposées petite scène en fond, sorties de secours. Nous la situons dans un présent très proche de nous. Mais aussi, une musique sortant d'un petit poste faisant l'effet d'être dans un état de somnolence. Des acteurs, en costume vaguement militaires qui ont l'air de sortir d'un grenier (les costumes). Le fiction mise en place a tous les éléments permettant de ramener le texte de Kleist à un présent quotidien. Le contexte historique du texte est ramené à une troupe contemporaine qui monte un texte du 19ème. Le jeu serait « et si on travaillait le prince de Hombourg avec des éléments de notre quotidien ». La théâtralité dans ce qu'elle a de productrice de fiction est apparemment ignorée. Apparemment. Le décor ne convoque pas l'imaginaire du spectateur. Le lieu de la fiction est définie.

   En revanche, lorsque arrive le premier acteur, son préambule et le texte qu'il met en bouche, est mis en marche notre imaginaire. Il présente en adresse au public l'histoire d'un prince, dans une ville étrangère. Rien à priori à associer avec le décor d'une salle des fêtes française sans signe de noblesse. Le public est sous la lumière, nous sommes partie prenante de cet acteur et de cet endroit de salle des fêtes abandonnée. Le point de vue de la fiction est mis à l'épreuve. S'agit-il d'une fable historique ? S'agit-il d'un déplacement de la situation initiale du texte ? S'agit-il de faire s'entrechoquer les temps et les imaginaires ? S'agit-il d'un appel à se responsabiliser dans la lecture que nous pourrions faire d'un texte comme celui de Kleist ?

   Walter Benjamin émet une hypothèse intéressante sur le temps et l'Histoire en particulier. Il propose de considérer l'Histoire non comme une succession d'évènements qui se définiraient dans leur chronologie, mais comme une constellation d'évènements. Il y aurait la constellation des révolutions ou la constellation des dictatures par exemple. Ainsi les morts ne sont pas considérés dans ce qu'ils ont de révolu et passé mais dans ce qu'ils ont d'agissant dans notre présent. Dans Sur le concept d'histoire, Benjamin écrit :

   « C'est donc à nous de nous rendre compte que le passé réclame une rédemption dont peut-être une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir. Il y a un rendez-vous mystérieux entre les générations défuntes et celle dont nous faisons partie nous-même. » [2]

   Les acteurs, en retenue, en intériorité, sont dans une direction où ils n'incarnent pas un personnage de Kleist, ils parlent au présent avec leur voix d'acteur de notre époque contemporaine, en convoquant la constellation de ceux qui ont vécu le dilemme politique proposé par la pièce. Il s'agit de faire parler une situation contemporaine avec un texte passé. Malis joue de ces constellations en associant : Kleist, son texte, son époque, ses propos, avec les acteurs, la situation contemporaine. Le décor de cette salle des fêtes avec les initiales « R.F » (République Française), rappelle encore l'hypothèse de constellation proposée par la pièce. Autrement dit : comment penser la démocratie sans l'enfermer dans un seul contexte ?

 

 LE TEMPS DU THÉÂTRE

   Ces questions sont abordées en étirant le temps. Les actions, le débit des acteurs, les déplacements sont poussés dans une décomposition du temps. La pièce dure 3h30 et la lenteur du déroulement a pu m'impatienter. Cependant, cela permet de donner au spectateur le temps de recevoir et s'approprier les réflexions en mouvement. Le rythme lent fait accepter que le propos ne peut se réfléchir dans la précipitation ou dans le rythme quotidien que chacun a. L'hypothèse serait : « Si on prenait le temps de s'arrêter pour regarder notre histoire. » Faire changer le spectateur et l'acteur d'habitude rythmique pour déplacer son écoute et son regard, et ainsi proposer un espace vierge pour la pensée.

  Cette mise en scène donne l'espace à une pensée de notre société contemporaine en particulier (car elle est jouée pour et par les personne qui la constituent), et pour un vivre-ensemble plus général. L'acte théâtral est propice à cette proposition car le mouvement le définit et qu'une réflexion ne peut être figée. La réflexion n'est pas terminée lors de la représentation, elle demande un dialogue avec le public. Elle demande à être alimentée par l' autre selon son envie à y prendre part. Le risque pris par Malis est de compter sur cette disponibilité pour faire exister le spectacle.

 

[1] Extrait de la feuille de salle des représentations au théâtre d’Arles les 7 et 8 avril 2009.
[2] Walter Benjamin, Ecrits Français, « Sur le concept d’histoire », chapitre II,  Gallimard Poche.

Joué en avril 2009,
au Théâtre Antoine Vitez, Aix-en-Provence

Mise en scène : Marie-José Malis 
Compagnie : La Llevantina
Collaboration à l’écriture : Alain Badiou 
Distribution : Pascal Batigne, Brice Beaugier, Olivier Coulon-Jablonka, Hélène Delavault, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Claude Lévèque, Victor Ponomarev, Didier Sauvegrain
Création lumière : Jessy Ducatillon
Création sonore : Patrick Jammes
Scénographie : Jean-Antoine Telasco, Jessy Ducatillon, Adrien Marès, Marie-José Malis
Costumes : Zig et zag
Diffusion : Béatrice Cambillau

Posté par: Louise Narat-Linol
Catégorie : Rédaction





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