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25 sept. 2014

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Extrait d'entretien avec Marie-José Malis, mené par Laure Adler.
Le 10 juillet 2014, dans le cadre des Leçons d'Université du Festival d'Avignon 2014.
Retranscription et mise en forme : Louise Narat-Linol.

À propos d'Hypérion, création au Festival d'Avignon 2014.
Reprise : du 26 septembre au 16 octobre 2014, au Théâtre de la Commune, CDN d'Aubervillers.

Hypérion est un texte de Friedrich Hölderlin, poète romantique allemand du début du XIXème. La forme de l'écriture est épistolaire. La proposition de Marie-José Malis, création 2014, livre la pensée de Friedrich Hölderlin au spectateur, comme un cri à notre siècle, comme un appel contre ce monde-ci, comme un appel pour du possible proche.

Dans cet entretien, Marie-José Malis nous parle de révolution, d'infini, de nouvelles façons d'aimer le monde, et de Mao. Elle rapporte des  paroles d'Hölderlin, en invente d'autres. Et lorsqu'elle parle, il parle. Nous parlons.

LAURE ADLER : Pourquoi ce choix du texte d'Hypérion

MALIS - Une nouvelle ère du monde commence.

Hölderlin c'est tout en fait. C'est le poète de la modernité, c'est celui qui inaugure la poésie. Pourquoi il l'inaugure ? Car il se rend compte qu'avec la Révolution Française (nldr - Hölderlin écrit Hypérion en 1795) et la bourgeoisie qui arrive au pouvoir, une nouvelle ère du monde commence. Ce monde est une monde sans Dieu. Le divin classique y est évacué. C'est une tâche de la politique que la Révolution Française a inaugurée. Comment à la fois vivre dans un monde purement matérialiste, sans Dieu, tout en restant fidèle à l'idée du bien, du bonheur et de l'absolu pour tous ?

HÖLDERLIN - Nous, poètes.

Hölderlin dit. Nous, les poètes, avons toujours cherché à chanter vers le ciel. C'est cet amour que nous avons mis vers le ciel, vers des idéaux extérieurs à nous. Et nous devons plier ces idéaux vers un amour de la terre et de la finitude. Nous n'avons plus de Dieu, mais si nous nous mettons à aimer notre condition humaine, la terre, et notre finitude, avec la meme intensité que nous avons aimé Dieu, alors nous ne subirons pas notre finitude, nous ne serons pas les prisonniers du matérialisme, nous ne serons pas les esclaves d'un monde sans esprit.

MALIS - Contribuer au bonheur pour tous.

Nous espérons toujours que le salut viendra de quelques puissances extérieures. En un sens nous n'avons pas renoncé au miraculeux. Donc moi j'ai choisi Hölderlin car la question qui se pose à Hypérion est celle-ci :  comment rester fidèle à l'idée de la revolution, tout en dressant le bilan le plus strict de cet echec de la tentative de politique d'émancipation (Révolution Française) ? Comment continuer à être fidèle à l'idée d'un processus dans lequel chacun pourra contribuer au bonheur de tous ?

HÖLDERLIN - La beauté ou l'infini déposé en dehors de l'Histoire.

Il faut regarder ce que nous vivons, et il faut séparer ce qui est de l'Histoire des Hommes, de ce qui est hors de l'Histoire des Hommes. Y a-t-il des choses hors de l'Histoire ? Oui. La nature et la terre ont une beauté en réserve. Cette beauté échappe à l'Histoire des Hommes. Comme dans dans l'histoire des individus finalement , il y a quelque chose qui échappe à l'Histoire : l'enfance. Il ya ce temps de l'enfance dans lequel nous somme tous en capacité d'éprouver une confiance infinie dans l'humanité. Nous ne doutons pas de notre force ni de notre beauté, nous ne doutons pas que nous sommes divins. La beauté est de l'infnifni déposé en dehors de l'Histoire.

MALIS - L'absolu existe.

Dans ce temps-ci, que nous dit-on ? Que l'homme n'est pas capable d'absolu. Et que l'absolu est totalement retiré du monde. Hölderlin dit au contraire que l'absolu existe. Que la beauté divine de l'homme existe, et que l'homme a une capacité infinie. La Révolution Française a échoué sans doute parce que les coeurs n'étaient pas prets à en accueillir profondément les plans de conséquence. Ni prêts à accueillir un bonheur pour tous.

HÖLDERLIN - Aimer la pauvreté.

Maintenant, il faut que le processus révolutionnaire s'accompagne d'un processus symbolique. Ce sont les poètes qui doivent faire cela, c'est-à-dire nous aider à aimer le monde autrement, nous aider à aimer dans ce monde-ci ce que nous redoutons. Nous redoutons la pauvreté, donc nous aider à aimer la pauvreté, à aimer la frugalité, à avoir le souci des plus petits d'entre nous, et à ne pas avoir peur de perdre des choses quand le bien des autres est en jeu. 

MALIS - La révolution symbolique.

La question est d'apprendre à aimer le monde autrement, de sorte que la revolution politique puisse s'installer profondément et durablement. Que cette révolution ne soit pas seulement une réveolution faite par les lois et par l'état, mais qu'elle soit portée dans le coeur des gens. C'est une révolution symbolique, ce n'est pas seulement une revolution des idéaux. C'est aimer danss le monde des qualités sensibles, qui pour l'instant ne sont pas encore visibles. Aimer les qualités minoritaires du monde.

Nous devons continuer à fabriquer des idées, et continuer à fabriquer pour les générations à venir l'idée que ce qui nous attend, c'est un processus du bonheur de tous. Sinon je ne vois pas pourquoi on devrait vivre et continuer à faire des enfants. Je pense que l'effort intellectuel extraordinaire d'Hölderlin est une chose dont on a besoin. 


MAO - Nouveaux objectifs.

Toute l'énergie de l'humanité pourrait être la même, mais tournée vers de nouveaux objectifs. Que ces nouveaux objectifs ne soient pas seulement la production d'objets consommables. Mais qu'ils soient tournés vers le désir de nous conduire à aimer de nouveaux objets, et de nouvelles productions.

Hypérion, d'après Friedrich Hölderlin
Durée : 3h45
Traduction : Philippe Jaccottet

Créé au Festival d'Avignon, du 8 au 16 juillet 2014
En tournée : 
- du 26 septembre au 16 octobre 2014, au Théâtre de la Commune, CDN d'Aubervillers ;
- les 6 et 7 novembre, aux Quinconces-L'espal, Scène conventionnée, Théâtres du Mans ;
- les 15 et 16 décembre, au théâtre de l'Archipel, Scène Nationale de Perpignan ;
- du 10 au 21 janvier 2015, au Théâtre National de Strasbourg ;
- du 27 au 31 janvier au Théâtre Dijon de Bourgogne, CDN.

Mise en scène : Marie-José Malis
Adaptation : Marie-José Malis et Judith Balso
Scénographie : Adrien Marés, Jessy Ducatillon, Jean-Antoine Telasco
Lumière : Jessy Ducatillon
Son : Patrick Jammes
Costumes : Zig et Zag
Avec : Pascal Batigne, Frode Bjørnstad, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Isabel Oed, Victor Ponomarev
Et les comédielles amateures : Adina Alexandru, Lili Dupuis, Maxime Chazalet.

Production : Théâtre de la Commune Centre Dramatique National d'Aubervilliers
Coproduction : Compagnie La Llevantina, Comédie de Genève, L'Archipel Scène nationale de Perpignan, CCAS, Festival d'Avignon
Avec le soutien de : la Région Île-de-France

Interview / / Forme libre / 
Posté par : Louise Narat-Linol
25 juil. 2014

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Entretien avec Marie-José Malis, mené par Laure Adler.
Le 10 juillet 2014, dans le cadre des Leçons d'Université du Festival d'Avignon 2014. 
Retranscription et mise en forme : Louise Narat-Linol.

Hypérion est un texte de Friedrich Hölderlin, poète romantique allemand du début du XIXème. La forme de l'écriture est épistolaire. La proposition de Marie-José Malis, création 2014, livre la pensée d'Hölderlin au spectateur, comme un cri à notre siècle, comme un appel contre ce monde-ci, comme un appel pour du possible proche.  

Dans cet entretien, on parle de théâtre, de révolution, de politique, de philosophie, de théâtre de pensée, et surtout d'hospitalité. Marie-José Malis définit l'image hospitalière du théâtre, non comme une image qui cherche  à reproduire le monde tel qu'il est, mais comme une image qui propose de l'étranger.

Entretien en trois parties : la révolution, la pensée, la métamorphose. Aucune succession chronologie n'est affirmée dans l'ordre de ces parties. Cela aurait tout aussi bien pû être : la pensée, la métamorphose, puis la révolution, ou encore la métamorphose, la révolution, puis la pensée... 


LA RÉVOLUTION

"La révolution se fait par la répétition."

Pourquoi avez-vous choisi le théâtre comme mode d'expression artistique ?

Pour moi, le théâtre est le lieu de l'amitié et de l'utopie.

Ça s'apprend le théâtre ?

Je ne l'ai pas appris dans les écoles. J'ai appris la littérature à l'école. Et j'ai appris le théâtre en en faisant un petit peu sous la forme du théâtre amateur, et surtout en étant spectatrice tous azimuts. Quand j'étais jeune, j'étais d'abord provinciale, puis à Paris pour faire mes études. J'allais à peu près voir tout, et je réfléchissais à tout ce que je voyais. Et c'est comme ça que j'ai l'impression d'avoir appris le théâtre. Mais j'ai aussi une formation universitaire assez poussée, et j'ai aussi beaucoup lu les théoriciens. Je crois beaucoup à cette phrase de Walter Benjamin qui dit que « La révolution se fait par la répétition ». Walter Benjamin dit que l'on croit toujours que le changement va arriver d'une manière miraculeuse et à partir de rien, mais il nous dit qu'en fait les révolutions se font par imitation de ceux qui nous ont précédé. Et je peux dire que j'ai appris le théâtre comme ça, par imitation. C'est aussi comme ça que je l'enseigne.


"Travailler à du possible aujourd'hui."

Vous dites que vous êtes une théoricienne, que vous avez une formation universitaire, vous êtes passée par Ulm (Ecole Normale Supérieure de Paris), qu'est-ce qui vous a déterminé à ne pas devenir enseignante et à devenir une intermittente ? 

Mes origines familiales tout simplement. Je viens d'un milieu très modeste, mes parents sont ouvriers agricoles. À l'École Normale Supérieure, j'avais l'impression d'être une anomalie. Et je l'étais. Je me suis rendue compte que ces milieux constitués étaient des milieux inertes, et dans lesquels il y a de la reproduction d'un schéma social. Je ne voulais pas être là-dedans. Je ne pouvais pas en fait.

Vous auriez eu l'impression de faillir à votre tâche intellectuelle et de ne plus être dans la classe sociale de vos parents ?

Oui en quelque sorte. J'ai l'impression que j'étais soumise à une alternative dure. Soit je désirais appartenir au milieu des autres et alors je devenais arriviste, soit pour me garder moi-même et continuer à me constituer, je devais inventer une position autre. Et c'est ce que j'ai fait. Cela dit, j'ai rencontré les mêmes effets de sociologie dans le milieu théâtral. Avec ses effets de reproduction, ses effets de cooptation, de collision etc. Je pense que c'est bien d'être dans une position minoritaire et d'être toujours du côté d'une altérité véritable. 

Quelles ont été vos influences intellectuelles ?

Elles ont tout d'abord été du côté de la philosophie, en partant du cinéma philosophique. Celui de Godard si on peut le qualifier comme ça. Ensuite, très vite du côté de la philosophie esthétique. Avec des gens comme Georges Didi-Huberman, des gens qui nous permettent de penser quel est le statut de l'image aujourd'hui. Et puis du côté de la philosophie politique, parce que, comme je l'ai répété souvent, je pense que nous devons travailler à du possible aujourd'hui. J'ai donc cherché dans la philosophie politique une pensée du bien et du bonheur. Je pense que la philosophie, celle de Platon, pendant très longtemps a eu comme objectif de fabriquer l'humanité en vue du bonheur. Mais depuis quelque temps la philosophie est devenue un lieu strict de l'analyse et de la critique. 


LA PENSÉE

"Brancher le théâtre à de la pensée."


Comment le théâtre peut-il déboucher sur ce que vous nommez cette "hospitalité" ?

Je pense que nous sommes dans un monde où l'on demande à l'image d'être identitaire, c'est-à-dire qu'on demande  à l'image qu'elle soit immédiatement reconnaissable. Le théâtre a toujours eu à se battre contre ceux qui voulaient faire de lui le simple miroir du monde.  Et le théâtre que j'aime a toujours eu à mener un combat pour ne pas être ce simple miroir du monde, mais pour être ce qui va vous proposer l'intuition d'autres choses, et transformer ce monde-ci. Après tout, le théâtre a une longue histoire d'amitié avec la philosophie, et plutôt que de brancher mon théâtre sur les arts plastiques, et de dire que ce qui fait la modernté du théâtre serait sa capacité esthétique à faire des images fortes, j'i décidé de faire un théâtre dont les images sont humbles et hospitalières, et dont les pensées nous aident à vivre. Pour la modernité de mon art, je branche le théâtre à de la pensée.

"Une représentation construit ses spectateurs."

La mise en scène est-elle pour vous un transfert de pensée ?

Oui, c'est un transfert de pensée. Le théâtre que je fais n'est que direction d'acteurs. Si l'acteur pense réellement à ce que dit le texte, il est convoqué à des idées qui sont pour sa propre vie, pour notre vie. C'est comme ça que je travaille, c'est ce que je demande à l'acteur de faire. D'où, en effet, un théâtre ralenti. Parce que pour que l'acteur puisse penser le texte, il faut qu'il calme sa propore machine expressive. Après tout, un acteur, c'est une machine technique, rodée. Il peut balancer un texte avec expressivité tout de suite. Mais s'il le fait comme ça, il ne va qu'au sens vulgaire des choses. Et je me dis que lorsque on a bien travaillé, le spectateur peut s'identifier, non pas  à un personnage, mais à ce processus de pensée qui traverse l'acteur. Le public est témoin de ce qu'une pensée produit chez un être humain : le bonheur, la compassion, l'incroyable gratitude que l'on peut avoir pour un auteur. C'est comme ça que je qualifirais le théâtre de pensée. C'est un théâtre qui est porté par l'acteur qui pense.


LA MÉTAMORPHOSE

"La transformation du monde."

Qu'espérez-vous d'une salle de spectateurs ? Quelle différence faite-vous entre une lecture intérieure intensive et le fait d'être dans une salle de théâtre avec dautres ?


J'espère ce qui se passe actuellement en fait. Pour moi c'est très violent ce qui se passe sur notre spectacle (ndlr - un accueuil très mitigé de la pièce et une salle qui se vide aux 2/3 à l'entracte), mais je peux dire aussi que je suis étrangement heureuse, puisqu'à la fin de la représentation, nous avons constitué un corps de spectateurs. Nous avons traversé l'adversité de la représentation. Dans ce monde-ci, des gens ne veulent pas entendre ou ne veulent pas que cela soit pensé comme ça, dit comme ça, ni que le théâtre soit cela etc. Je pense qu'une représentation construit ses spectateurs et que ça demande une bataille dure de faire de l'art, de tenter quelque chose. C'est ce que j'espère du théâtre. Que quelque chose publiquemement se constitue face à une oeuvre.

Est-ce que vous pensez que la définition du théâtre que vous pratitiquez passe par une écoute possible et nouvelle de la poésie, comme force révolutionnaire ?

Oui, je crois réellement que le théâtre peut contribuer beaucoup à la transformation du monde. Meyerhold parle de cela aussi. Il ne croyait pas non plus que le théâtre devait être vecteur de message didactique, ni porteur de sloggan. Je pense au fond que c'est ce qu'on attend du théâtre de gauche, un théâtre faiblement politique, qui ne servirait que des sloggans vaguement politiques. Mais s'il s'agit d'entendre ce que l'on sait déjà, ce n'est pas la peine de travailler.  Le slogan et le message appartiennent au monde mort. La poésie, c'est la capacité de métamorphose de l'existant.

Sur notre site, une critique du spectacle : Hypérion, le poing levé.
Lisez l'article De retour d'Avignon.
Également, à propos de Marie-José Malis, deux autres critiques sur d'anciennes créations :
2009 - Le prince de Hombourg, Heinrich von Kleist : Mettre en scène l'Histoire.
2011 - On ne sait comment, Luigi Pirandello :  Tentative de savoir comment.

Hypérion, d'après Friedrich Hölderlin
Durée : 5h
Traduction : Philippe Jaccottet

Créé au Festival d'Avignon, du 8 au 16 juillet 2014
En tournée : 
- du 26 au 16 octobre 2014, au Théâtre de la Commune, CDN d'Aubervillers ;
- les 6 et 7 novembre, aux Quinconces-L'espal, Scène conventionnée, Théâtres du Mans ;
- les 15 et 16 décembre, au théâtre de l'Archipel, Scène Nationale de Perpignan ;
- du 10 au 21 janvier 2015, au Théâtre National de Strasbourg ;
- du 27 au 31 janvier au Théâtre Dijon de Bourgogne, CDN.

Mise en scène : Marie-José Malis
Adaptation : Marie-José Malis et Judith Balso
Scénographie : Adrien Marés, Jessy Ducatillon, Jean-Antoine Telasco
Lumière : Jessy Ducatillon
Son : Patrick Jammes
Costumes : Zig et Zag
Avec : Pascal Batigne, Frode Bjørnstad, Juan Antonio Crespillo, Sylvia Etcheto, Olivier Horeau, Isabel Oed, Victor Ponomarev
Et les comédielles amateures : Adina Alexandru, Lili Dupuis, Anne-Sophie Mage

Production : Théâtre de la Commune Centre Dramatique National d'Aubervilliers
Coproduction : Compagnie La Llevantina, Comédie de Genève, L'Archipel Scène nationale de Perpignan, CCAS, Festival d'Avignon
Avec le soutien de : la Région Île-de-France

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
30 nov. 2013

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Petite leçon sur le théâtre par Claude Régy.

"Le bruit du monde"
Le sens, le silence, la folie 
Rencontre publique entre Claude Régy, metteur en scène et Laure Adler, journaliste.
Retranscription et mise forme : Louise Narat-Linol.


Université d'Avignon, juillet 2013.
Dans le cadre du 67e Festival d'Avignon.

LE SENS                                                                                                                                        
Qu'est-ce que la « mise en scène » pour toi ?

"L'écriture doit être libre de son sens"

C'est un terme qui ne me convient pas du tout. Ce que j'essaie de faire, c'est de donner la priorité au texte et à l'écriture comme élément dramatique. J'ai quasiment supprimé de la scène la notion de costume, de décor et de mise en scène. Mon vœu est de mettre l'écriture au centre du théâtre. Henri Meschonnic dit que le langage possède de manière secrète, et presque invisible, une théâtralité. Il parle d'une « théâtralité inhérente au langage ». Peter Handke dit aussi cela : que l'écriture n'est pas obligée de délivrer un message, et qu'elle doit avant toute chose être libre. Cela va contre la toute puissance qu'exerçait Brecht à cette époque avec le théâtre politique à message.

"Le sens nouveau est toujours en train de se faire"

Je m'attache à dépasser la question du sens. Ce que l'humain comprend est très limité, beaucoup de philosophes l'ont dit. Il faut chercher à exprimer l'inexprimable, et là on a une chance de toucher ce qu'on peut appeler la beauté. Ce n'est pas perceptible par nos sens : il s'agit de suggérer par des voix secrètes des moteurs de l'imagination qui permettent de comprendre ce que l'on ne comprend pas. Quand il y a absence de sens, il y a le début de la création d'un sens nouveau qui est en train de se faire. Il ne faut pas du tout avoir peur de ce qu'on croit ne pas comprendre. Ce sont les leçons des auteurs que j'ai rencontrés. Tout ce que j'ai fait dans ce métier vient de ma rencontre avec des écrivains.

"Donner naissance à une étoile dansante"

Nietzsche dit : "Faut-il encore avoir le chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante ?" Cette image de "l'étoile dansante", ça fait partie de ce que je disais sur l'absence de sens. Ici, ce n'est pas clair, qu'est-ce que c'est une "étoile dansante". Je veux dire qu'il n'y a pas d'étanchéité entre la philosophie, la science et la poésie. Je suis toujours frappé de voir que les physiciens cantiques citent sans arrêt des extraits de poèmes. Donc l'image de "l'étoile dansante" c'est poétique, mais elle vient du chaos. C'est la nécessité de rejoindre le chaos et de ne pas rester dans la clarté. Une des conséquences de la clarté c'est la rentabilité. On voit très bien comment faire le procès de régimes politiques à partir de cette pensée sur la littérature.



LE SILENCE                                                                                                                         
"Trois espèces de silence"

Ce que je sais c'est que le silence est très important. C'est le complément de l'écriture. Le silence est créateur. Mais la pratique du silence se perd beaucoup dans cette civilisation bruyante dans laquelle les moteurs nous font vivre. Le silence est tout à fait important. Le silence est de plusieurs espèces : - le silence d'avant de parler, celui qui modifie la prise de parole. - de même que le silence qui suit la fin d'une phrase, c'est une caisse de résonnance. - il y en un troisième qui est plus subtil, c'est d'arriver à parler sans oblitérer le silence.

"Deux amants qui ne se sont jamais tus ensemble ne se connaissent pas".

Comment faire le bruit des mots en faisant aussi entendre le silence ? Ce phrasé-là, c'est un travail à faire avec les acteurs qui en général ne l'apprennent pas dans les écoles ! Cela rapproche le langage de la musique. La musique fait entendre le silence. Le silence avant, pendant et après le texte rapproche du langage de la musique. Car on ne sait pas ce qui nous touche dans la musique, on ne sait pas où elle nous emmène. Comment par le langage, on peut atteindre les gens dans une région d'eux-même qui n'est pas repérée ? Cette utilisation du silence est très importante. Et j'ai risqué, dans les deux derniers spectacles, de demander au personnel de salle de dire au public d'entrer en silence et de conserver le silence jusqu’au début du spectacle. Et les spectateurs ont été très fidèles. S'il ya un silence dans le salle avant le spectacle, chacun est plus disposé à entendre autre chose que le sens premier des mots. Materlinck disait que "deux amants qui ne se sont jamais tus ensemble ne se connaissent pas".

"La lumière en moins, l'imaginaire en plus"

Il y a un grand rapport entre l'ombre et le silence. Si on éclaire moins l'acteur, il y a beaucoup plus de liberté à l'imaginaire du spectateur pour découvrir des territoires insoupçonnés, par moi en tous cas.



LA FOLIE                                                                                                                             
Dans tes thématiques, il y a la récurrence de la mort et de la folie, pourquoi ? 

"L'insanité chronique des saints d'esprit"

Car les gens raisonnables m'ennuient terriblement ! Je ne vois pas pourquoi je les fréquenterais, ils n'apportent rien car ils restent dans les clôtures de la raison. Donc il n'y a plus de risque, plus de recherche, il n'y a plus rien. La folie et la mort sont présentes dans tous les textes que j'ai travaillés. Ce sont deux choses concomitantes. La folie fait déchanter la raison et la mort, fait déchanter la vie. Et cela est nécessaire. On voue un culte excessif à la raison et à la soi-disant "santé mentale". Sarah Kane parlait de "l'insanité chronique des saints d'esprit". Et Jean Oury, psychiatre "anti-psychiatre" a inventé le terme de "normopathe". La division entre la folie et la normalité est un grand mensonge. C'est un crime contre l'humanité. Cette opposition est une voie appauvrissante. Je ne crois pas qu'il faille apaiser la peur de la mort, la vie sans la mort n'a aucun sens. Opposer le bonheur au malheur...séparer la vie de la mort, c'est ce que fait l'économie. Nous sommes gouvernés par des économistes. Nous sommes alors prisonniers de ces fausses valeurs qui sont en permanence répétées.

Une dernière question, peut-être : que fais-tu quand tu ne fais pas de théâtre ?

Je rêve.

 

Traquez Claude Régy et Laure Adler sur le net : "La terrible voix de Satan"

La Barque le soir
Durée : 1h30

Adaptation du texte de Claude Régy
Du texte "Voguer parmi les miroirs",
Extrait du roman, de Tarjei Vesaas "La barque le soir",
Traduit du norvégien par Régis Boyer
Joué au Festival d'automne, au 104, du 24 octobre au 24 novembre 2013

Mise en scène : Claude Régy
Assistanat : Alexandre Barry
Scénographie : Sallahdyn Khatir
Lumière : Rémi Godfroy
Son : Philippe Cachia Avec : Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian
Création : les Ateliers contemporains (compagnie subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication – direction générale de la création artistique.)
Coproduction : Odéon-Théâtre de l'Europe (Paris) / CDN Orléans-Loiret-Centre / Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées et Théâtre Garonne / Comédie de Reims / Festival d'Automne à Paris 

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
11 oct. 2013

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Conversation sur le théâtre et l'écriture avec Marc Vallès Désert, auteur et metteur en scène haïtien,
dans la Compagnie (P)rolongement d'(E)criture,
en résidence d'écriture à la Maison des Auteurs du Festival des Francophonies en Limousin.
Son texte Jamais autant de silence a été lu pendant le Festival 2013,
par les deux comédiens Franck Koumba et Nina Nkumbwa.

A Paris entre deux trains, deux avions, deux rues, nous nous retrouvons au café à chicha près de Châtelet. Ce sont les "nuits blanches" à Paris ce soir-là. Il y a beaucoup de monde, beaucoup de bruit. Nous parlons 35 minutes sur les questions que j'ai préparées, puis nous rejoignons son ami Angelo dans un bar cubain, où, me dit-il, je dois goûter le rhum Damoiseau.
D'accord.

 

Si tu devais livrer une seule chose qui te pousse à écrire, quelle serait-elle ?
"Je pousse des cris"

C'est l'envie de parler. Dans la vie je m'exprime avec beaucoup de retenue. Le théâtre et l'écriture me permettent de parler normalement. Il y a plein de choses à dire sur l'Homme, sur mon pays et sur le monde. Mais c'est aussi le moyen de dégager tout ce qui est refoulé en moi. Je pousse des cris. Et je vais les chercher à l'intérieur de moi grâce à l'art, le théâtre et l'écriture.

 

Pourquoi cet art et pas un autre ?
"Mon milieu immédiat"

Je ne pense pas avoir choisi. C'est plutôt l'accès que j'en ai eu. En Haïti, j'ai pu facilement rencontrer les auteurs, ils sont accessibles. Tu rentres dans un bar, tu rencontres des gens. Il n'y a pas beaucoup d'accès aux livres, mais il y a quand même des bibliothèques, et les livres se prêtent beaucoup. C'est mon milieu immédiat. Il y a beaucoup d'artistes en Haïti.

 

Quelle différence entre écrire du théâtre et écrire de la poésie ?
"La construction"

C'est juste une question de forme. Le propos que tu peux avoir dans le théâtre, tu peux l'avoir dans la poésie et inversement. En Haïti, il y a des « diseurs » : ils lisent leurs poèmes dans les bars, c'est très fréquent, et c'est mon milieu immédiat. Mais pour moi, le théâtre permet de développer beaucoup plus que la poésie. La forme demande plus de construction.

 

Quelle différence pour toi entre écrire en créole et écrire en français ?
« Je suis dans l'accueil »

La différence ? J'appartiens à la langue créole alors que la langue française m'appartient. C'est une question d'accueil en fait, je ne choisis pas à l'avance en quelle langue je vais écrire. Je laisse venir les choses. C'est Wajdi Mouawad qui parle de ça : l'accueil et l'imaginaire, qu'on le veuille ou non, se confondent. Et je suis dans cet accueil.

 

Le plateau, c'est quoi pour toi ?
« Je fuis le plateau »

Le plateau sert à rendre ton propos physique, que les gens puissent toucher, voir, entendre. Mais je fuis les plateaux de théâtre en fait. Plus je fuis le plateau, plus je suis dans du vrai. De toute façon, en Haïti, pour entrer dans le sens propre du mot plateau, il n'y a quasiment pas de scène.

 

Comment as-tu découvert le théâtre ?
"Quelque chose s'est ouvert en moi "

Jusqu'à mes 14 ans, je ne connaissais que le théâtre lu à l'école : les classiques français (Racine, Corneille, Shakespeare, Marivaux) ou haïtiens comme Justin Lhérisson[1]. Puis j'ai vu un spectacle en Haïti en 2003, et quelque chose s'est ouvert en moi. J'ai trouvé un coin pour parler à ce moment-là.

 

[1] Justin Lhérisson est un avocat et journaliste haïtien du début du xxème siècle, reconnu pour avoir retranscrit les « lodyans » haïtiens, forme traditionnelle de théâtre de la parole, du conte. « Lodyans » se traduit par « audition » en français

Suivez Marc Vallès sur le net.
Découvrez la Maison des Auteurs.

Marc Vallès est programmé au Festival des 4 chemins, en Haïti,
du 25 novembre au 7 décembre 2013, avec sa prochaine création Cabaret Vaudou.
Spectacle est en collaboration avec les tambourineuses de groupe féministe haïtien Vodoula, jouant du tambour, instrument symbolisant le pouvoir. 

Interview / 
Posté par : Louise Narat-Linol
31 août 2013

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Rencontres avec Adrien Mariani, spectateur au plateau dans Cour d'honneur de Jérôme Bel.
Pour sa création au festival d'Avignon 2013, Jérôme Bel a invité des spectateurs à faire part de leur mémoire de spectateur, sur la scène du palais des Papes. Louise Narat-Linol a rencontré l'un d'entre eux, un mois avant puis 3 jours après les représentations.

 

Adrien, Rencontre n°I : un mois avant

UN SPECTATEUR ORDINAIRE
Je suis habité par ma condition de spectateur. 

Qu'attends-tu du théâtre en général ? 

   J'attends du théâtre que cela me donne envie de changer le monde ! Ou en tous cas, la vision que j'en ai. Après certains spectacles, j'aime ce que j'ai vu. Puis le lendemain je suis en colère, je me dis,
« mais c'est tellement lisse, cela ne donne aucune réflexion ». Il me faut parfois la nuit pour en être dégouté. Ou au contraire, sur le coup, je ne suis pas conquis, je réfléchis toute la nuit, puis le lendemain, je réalise la qualité de ce que j'ai vu. Parfois, l'émotion ne vient pas d'où je m'y attends. Ce sont des questions que j'ai souvent car je suis habité par ma condition de spectateur. Je vais tout le temps au théâtre.

 

UN SPECTATEUR CHOISI
Je dois me projeter dans le passé. 

Comment as-tu rencontré Jérôme Bel ? 

   Il y a trois ans dans le programme du festival, il y avait un appel à témoins pour interroger le spectateur. Jérôme Bel avait donné rendez-vous aux spectateurs pour parler de leurs « souvenirs de cour d'honneur ». J'y suis allé, et j'ai raconté tous les spectacles que j'y avais vus. Quelques mois après, l'assistant de Jérôme Bel m'a appelé et m'a dit que j'étais choisi. Puis nous nous sommes donné rendez-vous à Paris au jardin du Luxembourg. A cette deuxième rencontre, nous avons fouillé ce que j'avais déjà dit. Il m'a dit une chose marquante : « A chaque fois que tu le dis il faut que tu revives ce que tu as vécu ». Je dois me projeter dans le passé à chaque foi. Ensuite, nous avons répété mon texte sur Skype.

A un mois des représentations, est-ce que tu appréhendes ? 

   Parfois, je fantasme les titres des journaux dans la Provence le lendemain : « cours d'horreurs dans la cour d'honneur ». Pendant les répétitions, il y aura sûrement des journalistes et je m'imagine en photo dans les journaux. C'est vaniteux mais ça pourrait arriver ! Sinon, je fais confiance à Jérôme Bel.

 

Adrien, Rencontre n° II : 3 jours après 

LA REDESCENTE
Je dois redescendre sur terre. 

Cela fait maintenant 3 jours que la dernière de Cour d'honneur est passée, comment te sens-tu aujourd'hui ? 

   J'ai mal aux pieds, aux doigts et je me sens très fatigué ! Le dernier soir, c'était difficile. J'avais envie de pleurer et de prendre tout le monde dans mes bras. Aujourd'hui, ça va car je suis encore au Festival d'Avignon : je vois des spectacles. Mais je pense que ma chute sera difficile. 

Cette expérience a-t-elle changé quelque chose dans ta vision du théâtre ?

   Je n'en sais rien encore ! Je verrai avec le recul. En fait c'est très lacanien ce spectacle. Jérôme a fait notre thérapie de spectateur ! (rires). Maintenant, je dois redescendre sur terre.

  

LE PLATEAU
1800 potes à qui raconter une histoire.  

Et comment Jérôme Bel t'a-t-il dirigé dans ton monologue ?

   Il a insisté sur le fait de ne pas laisser trop de place aux rires et aux applaudissements pendant le passage. Le jour de la première, Vincent Baudriller (directeur du festival ndlr) est venu nous voir dans les coulisses, et nous a dit de ne pas cabotiner car nous étions beaux dans notre simplicité. Je pense que c'est un spectacle que j'aurais adoré.

Quel effet ça te faisait quand les gens riaient à ce que tu disais ?

   Je faisais en sorte que cela ne me fasse rien. Le jeu c'était de ne pas cabotiner. Mais cela me faisait très plaisir. C'est comme si j'avais 1800 potes et que je devais leur raconter une histoire ! C'était assez simple.

 

LES RETOURS
C'est plaisant de se faire aborder dans la rue  

Quels retours t'a-t-on fait sur ce travail ?

   A la sortie de la générale, les gens nous abordaient dans la rue pour nous féliciter. C'est quand même plaisant de se faire aborder dans la rue ! Et puis j'ai pu rencontrer des metteurs en scène que j'adore. Un soir, Denis Podalydès est venu dans les loges pour nous dire que c'était le plus beau spectacle sur le théâtre qu'il avait vu. Et il y a eu Castellucci qui nous a dit que c'était « magnifico ». Valérie Dréville aussi... C'était émouvant tous ces retours.

Et comment la critique a reçu ce travail ?

   En fait, nous avons presque fait le travail des critiques sur scène ! Car parfois certains critiques ne vont pas plus loin que « j'ai aimé » ou « je n'ai pas aimé ». Donc je comprends que les critiques aient été irrités ! Ce sont surtout les spectateurs « aguerris » qui ont critiqué la proposition, ceux qui se sentent remplis d'une mission de spectateur, complètement ridicules. Mais les artistes et le public ont aimé ce travail.

 

Joué 17 au 20 juillet 2013 au Festival d'Avignon, Cour d'honneur du palais des papes.
Conception et mise en scène : Jérôme Bel 
Assisté de : Maxime Kurvers
Avec les spectateurs : Virginie Andreu, Elena Borghese, Vassia Chavaroche, Pascal Hamant, Daniel Le Beuan, Yves Leopold, Bernard Lescure, Adrien Mariani, Anna Mazzia, Jacqueline Micoud, Alix Nelva, Jérôme Piron, Monique Rivoli, Marie Zicari 
et les Interprètes : Isabelle Huppert, Samuel Lefeuvre, Antoine Le Ménestrel, Agnès Sourdillon, Maciej Stuhr, Oscar Van Rompay

Extraits des textes
Médée d'Euripide, traduction française Myrto Gondicas et Pierre Judet de la Combe 
Le Prince de Hombourg d'Heinrich von Kleist, traduction française Jean Curtis 
Les Bienveillantes de Jonathan Littell, traduction polonaise Katarzyna Kaminska-Maurugeon
L'École des femmes de Molière

Musiques
Philipoctus De Caserta (Codex Chantilly)
Scott Gibbons
Wolfgang Amadeus Mozart 
Richard Wagner

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
25 juil. 2013

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Louise Narat-Linol (LNL) s'entretient avec Malte Schwind (MS),
critique en Avignon pour le site de l’insensé-scène.

 

LE SPECTATEUR IDÉAL
Celui qui est changé par ce qu’il a vu.

LNL : Pour toi, c’est quoi un spectateur idéal ?
MS : Est-ce qu’il existe ? Je ne sais pas. Le spectateur idéal c’est quelqu’un qui essaie d’être conscient de ses horizons d’attentes et qui est capable de mettre en cause ses certitudes. Mais en même temps, cela tient-il au spectateur ou au spectacle ? Certains spectacles m’ont changé, et changent le spectateur je pense. Sinon, pourquoi faire, ou aller voir du théâtre ?!
LNL : Cite-moi 3 spectacles qui t’ont marqué dans ta vie ?
MS : The old king de Romeu Runa et Miguel Moreira. Je suis sorti et je devais réapprendre à marcher. C’est quand même incroyable que le théâtre fasse cela.

   Brume de dieu de Claude Régy : je suis sorti, j'ai pris le bus Aix-Marseille et j’étais dans un autre monde, il y avait toute cette rapidité autour de moi. Ça m’a boulversé d’être là. Comme si j’avais été extrait de ma quotidienneté. J’avais la sensation d’être de mars.

   Onzième de François Tanguy qui m’a fait découvrir un théâtre que je ne tenais pas pour possible, je regardais en me disant, « ça peut exister ça ?! »

   Mais je n’ai pas beaucoup vu de spectacles dans ma vie car je ne suis pas avec le théâtre depuis longtemps.

LNL : Tu faisais quoi avant ?
MS : De la psycho. 
LNL : Il y a des liens entre la psycho et le théâtre ?
MS : Sûrement, mais j’essaie de les évacuer. Je suis en colère contre la psycho. C’est probablement l’Œdipe, car mon père est psychanalyste (rires).

 

ÊTRE CRITIQUE
Beaucoup de joie et beaucoup de bière.

LNL : Lorsque tu es critique, es-tu un spectateur ordinaire ?
MS : Mon regard change en sachant que je dois écrire. Je me demande à quel point le regard du critique qui doit écrire, fait écran. Il y a une responsabilité différente. Je suis alors dans une grande solitude, avec beaucoup de joie. Et beaucoup de bière aussi. Ce n’est pas un métier bon pour ma santé (rires).
LNL : Quel est ton rapport au plaisir lorsque tu vois un spectacle, ou lorsque tu écris dessus ? 
MS : Pour écrire, il y a un plaisir. Même si ça varie entre une joie et une terreur, ou une torture parfois ! Par exemple, en écrivant, je bois et je fume beaucoup, comme pour me détourner. Mais je peux écrire sur un spectacle pendant lequel je n’ai pris aucun plaisir. J’ai pris un énorme plaisir à écrire sur le Projet Luciole ! Quand je suis sorti, j’étais en colère. Et là ça m’a permis de prendre du plaisir à écrire « Théâtre de boulevard 1 – Projet Luciole 0 ». 

 

CONVERSATION AUTOUR D'ANGELICA LIDDELL
Ah oui, tu penses qu’elle joue ? 

LNL : Pourquoi as-tu choisi d’aller voir ce spectacle Todo el cielo sobre la tierra [1]?
MS : Je n’ai pas vraiment décidé, j’ai suivi "l’insensé". Mais avant d’y aller j’ai lu le texte "Todo el cielo…" Je m’attendais à une mélancolie, quelque chose d’assez noir. J’avais lu aussi qu’elle pratiquait l’automutilation sur scène.
LNL : As-tu été surpris ?
MS : En fait le spectacle m’a laissé assez indifférent, il y avait quelque chose qui ne m’arrivait pas. Et toi tu as pensé quoi de Angelica Liddell ? 
LNL : J’étais troublée, j’ai beaucoup pleuré en fait. Il y a des phrases qui m’ont sidérées. Par exemple sur l’état amoureux : « quand tu tombes amoureux, tu choisis entre la discipline ou la punition », c’est magnifique.
MS : J’étais avec Karelle, une autre critique, et elle aussi était très touchée en sortant. En me voyant plutôt indifférent, elle a dit « ça doit être un truc de filles » ! 
LNL : Oui, il y a beaucoup de discours misogynes sur son travail : on parle d’hystérie féminine…
MS : Mais il y a quand même des signes hystériques dans le spectacle !
LNL : Il y a surtout de l’humour avec ça, et du recul sur ce qu’elle fait. Elle joue, même si ça parle d’elle et qu’on la projette dans ce qu’elle écrit. 
MS : Tu penses qu’elle en joue ?
LNL : Oui je pense qu’elle joue sur cette distance là. 
MS : Lorsqu’elle dit, « maintenant la seule chose qui reste c’est l’humiliation », elle entre dans un regard haineux et dépressif envers elle-même. 
LNL : Je ne trouve pas du tout qu’elle soit dans un état dépressif. C’est tout le contraire, quand tu vois ces trois crocodiles pendus, ce couple de Shangaï qui danse la valse pendant 40 minutes, et cet orchestre, j’ai l’impression qu’elle transforme sa souffrance. Et puis cela ne m’intéresse pas de savoir si ce qu’elle dit est vraiment sa vie. 
Tu te souviens de ces 7 valses d’affilée où seul le titre change ?
MS : Non, la musique aussi change.
LNL : Ah oui la musique change aussi ? Je préférais imaginer qu’il n’y avait que le titre qui changeait.

 

Todo el ceilo sobre la tierra (El sindrome de Wendi),
durée 2h40 - spectacle en espagnol, mandarin, norvégien et surtitré en français.

Joué du 6 au 11 juillet 2013,
Cour du lycée saint-Joseph,
dans le cadre du 67e Festival d'Avignon.

Texte, mise en scène, scénographie et costumes : Angélica Liddell
Lumière : Carlos Marquerie 
Son : Antonio Navarro 
Réalisation des uniformes : Lana Svetlana 
Maquillage et coiffure : Yvette Faustino soutien 
Accessoires : Transcoliseum
Traduction et surtitrage : Christilla Vasserot
Régie générale :  África Rodríguez
Régie son : Antonio Navarro
Régie lumière : Félix Garma, Octavio Gómez 
Direction technique :Marc Bartoló
Production exécutive : Gumersindo Puche 
Production et logistique : Mamen Adeva
Avec : Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Sindo Puche et la chienne Kyra

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
24 juil. 2013

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Julien Bonnet est un acteur issu de la seconde promotion de l’Académie de l’Union de Limoges. Aujourd'hui comédien permanent au CDN de Montluçon, il est aussi cette année metteur en scène du spectacle Le nez dans la serrure, avec la compagnie du Dagor. La compagnie du Dagor est une compagnie limousine fondée par Thomas Gornet, également issu de l’Académie de l’Union.

Le nez dans la serrure : quatre personnages sans parole dans une armoire.  Cette année au Festival Off d’Avignon.

 

UN SPECTACLE EN 4 MOTS

Quatre mots pour Le nez dans la serrure, que t’évoquent-ils ?

Le cloisonnement mélancolique 

   J’ai toujours imaginé que cette armoire était au milieu de nulle part. Le temps s’arrête. A l'heure actuelle, tout va très vite, et les choses sont expliquées en permanence. J’avais envie d’un moment où le temps s’allonge et où personne n’explique le pourquoi du comment. On ne saura jamais pourquoi ces quatre personnages vivent dans une armoire, ni comment ils sont arrivés là. Pour que les spectateurs entrent vraiment dans le spectacle, cela commence avec un temps musical dans le noir et c’est un temps important pour moi. Le temps du départ. 

Le rituel 

   Oui, c’est vraiment une partie importante du spectacle. Les personnages organisent leur vie en fonction de l’espace (une armoire), et pour moi les rituels font partie des choses qui les rassurent. 

L’enfermement

   Je n’ai pas pensé en premier à des personnages enfermés. Je voulais juste raconter l’histoire de gens qui vivent dans une armoire. D’ailleurs dans le travail, nous avons inventé l'histoire de chacun des personnages et nous leur avons donné des noms : Grenache, Mussidan, Elba, Bréauté. Evidemment tout cela n'est jamais dit aux spectateurs.

La bande-dessinée 

   Ah, oui, la bande dessinée prend beaucoup de place dans ma vie. Une phrase de la bande-dessinée Watchmen de Alan Moore et Dave Gibbons a été importante pour moi dans le travail.  Un personnage dit « On vit parce qu’il faut bien, on s’invente après des raisons ».

 

« LA MISE EN SCÈNE ?  GRISANT. »

C’est quoi le spectateur idéal ? 

   Je n’en ai pas. Juste les gens curieux.

Tu préfères jouer ou mettre en scène ? 

   Je découvre la mise en scène, donc comme toutes les nouveautés, c’est grisant. Mais j’adore jouer. Le travail d’acteur, c’est une matière inépuisable.

Artistes ou metteurs en scène de chevet ?

   Aucun metteur en scène ne m’a donné envie de faire du théâtre. Mais mon oncle est comédien et ma sœur faisait du théâtre. Au début, j’ai voulu faire comme elle ! Mon désir s’est construit petit à petit.

Et à Avignon, cette année, des mises en scène t’ont marquées ?

   Celle de Warlikowski, Kabaret. Il y a beaucoup d'engagement et de précision. Les acteurs sont tous superbes. Les lumières sont magnifiques. Il faut s'accrocher et j'aime ça. J’aime les spectacle où tu dois lutter, où tout ne t’est pas servi directement.

Et pour vous, comment s’est passé Avignon ?

   C’était un bon Avignon, il y a eu du monde, spectateurs et professionnels. Jouer 20 fois de suite à Avignon de suite permet vraiment d’approfondir le travail. De toute façon, c’est passionnant le travail !

 

Juillet 2013, Festival d'Avignon off, Espace Alya.

Conception et mise en scène : Julien Bonnet 
Collaboration artistique : Marine Duséhu 
Avec : Pierre-Jean Etienne ou Alexandre Le Nours, Rama Grinberg, Franck Magis, Judith Margolin 
Scénographie :  Jean-François Garraud 
Lumière : Claude Fontaine
Musique originale et régie son : Adrien Ledoux 
Régie lumière : Claude Fontaine ou Tof Goguet
Costumes : Sarah Leterrier
Chorégraphie et mouvements : Emilie Yana

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol
20 juil. 2013

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Thomas Visonneau et Aurélie Ruby sont sortis de l’Académie du Théâtre de l’Union il y a 3 ans (2010) et ont monté leur compagnie en Limousin : Le Pas Suivant. Cette année au festival off en Avignon, ils présentent au Grenier à Sel Le temps des contes est révolu, une adaptation de textes de Dostoïevski, entre autres. Aurélie joue et Thomas met en scène. Le temps des contes est révolu est la deuxième partie d’un dyptique autour de Dostoïevski. Ce spectacle répond à Nuits blanches, crée en 2012, où Thomas jouait et Aurélie mettait en scène.

Théâtre Oracle s’entretient ici avec Thomas Visonneau, quelques jours après leur arrivée en Avignon. 

 

PREMIERS CHOIX
Le plateau est roi 

Pourquoi avoir choisi un texte littéraire plutôt que dramatique pour votre première création ? 

   La première idée était de proposer des récits que les gens ne connaissent pas.

   La deuxième raison de ce choix est que quand je lis du théâtre, je m’ennuie souvent ! Et à ce moment-là, j’étais plus excité d’imaginer ce que je pouvais faire avec un roman.

Et au plateau, qu’est-ce qui change entre ces deux écritures ?

   Dans une pièce, le théâtre ne nait pas sans conflit. Dans Dostoïevski, il n’y a pas de conflit, c’est du ressassement. Ce qui est intéressant c’est de comprendre ce qui va créer le conflit dans le texte littéraire, alors qu’en théâtre le conflit est déjà écrit. J’ai aimé pouvoir naviguer dans une matière. Bientôt, je monte Bérénice de Racine, et là le rapport sera différent.

Quel est le lien entre tes propositions : Dostoïevski, Racine et Training (prochain spectacle sur le sport) ?

   En fait il n’y en a pas. Je n’ai pas de « case ». Ce qui m’intéresse c’est « comment rencontrer les êtres humains ». C’est le plateau qui est le roi. Ce n’est pas la matière. Mais avec Bérénice je ne pourrai pas faire le malin. C’est de la tragédie, c’est de l’émotion pure, tu ne peux pas tricher avec cette matière - texte.

 

LA MISE EN SCÈNE
C’est tenir un cap et faire en sorte qu’il se passe quelque chose le jour J 

Tu jouais dans  Nuits Blanches  et tu mets en scène Le temps des contes est révolu. Que préfères-tu, jouer ou mettre en scène ?

   Ce sont vraiment des choses très différentes. Le metteur en scène, il est là pour maintenir un cap et tenir bon face à tout ce qui l’assaille. Car tout l’assaille : l’acteur qui a des problèmes existentiels, le régisseur lumière qui impose une implantation, le producteur qui veut te mettre dans un case. Et moi j’aime bien ça, tenir le cap. Alors que le travail d’acteur, c’est un travail d’amour. Moi, je remets trop en question lorsque je suis acteur.

Et comment entres-tu dans ce changement de rapport au plateau (du jeu à la mise en scène), car tu viens de passer plusieurs années à exclusivement jouer ?

   Ça s’est fait naturellement, progressivement. Pendant l’école, j’ai beaucoup observé. Je me préparais à comprendre comment ça marche. Gérer un technicien, un emploi du temps. Etre prêt au jour J. C’est ça en fait mon travail. Qu’il se passe quelque chose le jour J.

Quels sont tes « metteurs en scène de chevet » ?

   J’ai beaucoup  observé Anton Kouznetsov (professeur à l’Académie et metteur en scène). Mais en fait je suis plus dans un univers d’écrivains ou de cinéastes. Je ne suis pas à la pointe de ce qui se passe dans le théâtre. Je n’ai rien vu dans le « in » par exemple.

  En fait j’ai été marqué par l’expérience théâtrale plus que par des spectacles. C’est l’ambiance du plateau, des répétitions, des coulisses, des représentations qui m’ont donné envie de faire du théâtre. C’est ça qui me fait vibrer : le « tout est possible ».  Et tout remettre en jeu à chaque foi. 

 

LE PAS SUIVANT EN AVIGNON
Le Grenier à Sel, les gens connaissent ce lieu 

Comment vous êtes-vous retrouvés au Grenier à Sel ?

   Nous avons crée notre spectacle au Théâtre de La Passerelle à Limoges cette année. La Région est venue voir notre travail et ils nous ont incité à demander cette salle en Avignon. C’est la Région qui nous a soutenu pour venir.

Quel est l’accueil du public ?

   C’est assez tranché : certains détestent, d’autres adorent. Mais nous avons du monde, c’est encourageant. Nous tractons beaucoup, ça aide pour que les gens viennent ! Et il y a même un spectateur qui est venu m’aider à tracter car il avait aimé le spectacle ! Mais il y a tellement de monde qui tracte ici, c’est difficile de se démarquer.

Et à ton avis pourquoi les gens que tu tractes viennent ?

   Je pense que c’est l’auteur, et le label « Grenier à Sel », les gens connaissent ce lieu. Et puis comme  nous en parlons avec enthousiasme, c’est communicatif. Et puis aussi le fait que nous  venions de Limoges peut-être. Beaucoup de gens connaissent Michel Bruzat ici, donc le fait d’avoir crée le spectacle au Théâtre de La Passerelle nous aide.

Quels sont les enjeux pour vous ici à Avignon ?

Ils sont humains. Nous souhaitons que les pros et les gens du métier puissent venir voir notre travail !

 

Joué du 19 eu 27 juillet 2013, au Grenier à Sel
Festival Off d'Avignon.
Le Temps des contes est révolu.

Mise en scène : Thomas Visonneau 
Jeu : Aurélie Ruby
Lumière : Emilie Barrier 
Administration : Sébastien Ronsse

Interview / / Avignon / 
Posté par : Louise Narat-Linol